Cadeau suprême pour Trump
La majorité conservatrice de la Cour suprême lui a permis de fêter Noël un 27 juin.
La fin juin est toujours trompeuse. À New York, les beaux jours s’installent. La vie devient plus légère. On commence à faire des plans pour l’été... Mais c’est aussi le moment où les juges de la Cour suprême rendent une série de décisions conséquentes pour le pays avant de partir en vacances. Parfois, elles provoquent un séisme, comme le 24 juin 2022, quand le tribunal en dernier ressort, dont les décisions s’imposent à tout le pays sans possibilité de recours, a torpillé l’arrêt “Roe v. Wade” sur l’accès à l’avortement.
Le jugement qu’elle a rendu, vendredi 27 juin, dans le cadre d’une affaire sur le droit du sol (Trump v. Casa), fait partie de ces décisions majeures dont les ramifications sont difficiles à mesurer mais qui pourraient forger le système judiciaire et l’organisation des contre-pouvoirs sur le long-terme. Que s’est-il passé ? L’aréopage à majorité conservatrice a décidé de limiter le pouvoir des tribunaux fédéraux inférieurs (première instance et appel) en reconnaissant que les juges ne pouvaient pas suspendre l’application de mesures de l’exécutif dans l’ensemble du pays - une pratique appelée “injonction nationale” ou “universelle”. C’est technique, mais important. Explications.
Une “victoire monumentale”
La décision est le résultat d’un décret signé par Donald Trump au premier jour de son second mandat. Celui-ci remet en cause l’octroi automatique de la citoyenneté aux enfants nés sur le sol américain d’au moins un parent en situation irrégulière - un principe pourtant inscrit dans le marbre de la Constitution depuis près de 160 ans. “Toute personne née ou naturalisée aux États-Unis, et soumise à leur juridiction, est citoyenne des États-Unis et de l'État où elle réside. Aucun État ne peut adopter ou appliquer de loi restreignant les privilèges ou immunités des citoyens des États-Unis”, stipule le 14ème amendement du texte suprême. Pour une fois, c’est plutôt clair.
Vingt-deux États démocrates, des groupes de défense d’immigrés et plusieurs femmes enceintes qui ne savaient pas si leur futur enfant serait reconnu comme américain ont contesté le décret devant les tribunaux, arguant qu’il était inconstitutionnel. Il a été suspendu par plusieurs juges au niveau national, provoquant la colère du locataire de la Maison-Blanche.
Par le jeu des appels, la plainte est montée jusqu’à la Cour suprême. Plutôt que de statuer sur le fond de l’affaire (la validité du droit du sol), les neuf juges de la haute-cour se sont prononcés sur le bien-fondé de ces fameuses “injonctions nationales”. La majorité d’entre eux (6-3, soit les six juges conservateurs contre les trois libéraux) a estimé que cette pratique, apparue en 1963, ne faisait pas partie des compétences conférées à l’autorité judiciaire par le Congrès à la naissance de la république américaine, au XVIIIe siècle. Le judiciaire aurait donc abusé de son pouvoir face à l’exécutif, au mépris du principe de branches co-égales au centre de la démocratie américaine. “Les tribunaux fédéraux n'exercent pas de contrôle général sur le pouvoir exécutif ; ils tranchent les affaires et les litiges conformément aux pouvoirs que le Congrès leur a conférés. Quand un tribunal conclut que le pouvoir exécutif a agi illégalement, ce tribunal ne doit pas non plus outrepasser ses propres pouvoirs”, a écrit la juge Amy Coney Barrett, nommée par Donald Trump en 2020 et auteure de l’opinion majoritaire dans cette affaire. Elle a estimé que les suspensions ne devaient concerner que les seuls plaignants, pas l’ensemble des individus dans le pays. Critiquée dans les cercles MAGA (“Make America Great Again”) pour des décisions passées contraires aux intérêts de Donald Trump, la juge s’est donc rachetée.
Pratique décriée par les deux partis
Ces suspensions universelles étaient critiquées par les deux partis et les experts. Tandis que les présidents ne cachaient pas leur frustration de voir leurs politiques bloquées par des juges, d’autres détracteurs considéraient, à juste titre, qu’elles favorisaient une stratégie appelée “shopping judiciaire”, où les plaignants initiaient des poursuites devant des magistrats “amis” de manière à empêcher rapidement l’entrée en vigueur de décrets et autres textes de l’exécutif sur l’ensemble du territoire.
Donald Trump était particulièrement critique de ces suspensions. Relativement rares dans l’histoire du pays (il n’y en a eu que vingt-sept au XXème siècle), elles sont devenues plus courantes pendant les présidences du Républicain. On en a dénombré soixante-quatre lors de son premier mandat et trente dans les trois premiers mois de son second. Les Démocrates étant minoritaires au Congrès, la justice fédérale est apparue comme le principal contre-pouvoir sur le chemin de ce président favorable à un renforcement des prérogatives de l’exécutif. Ses alliés politiques et lui étaient tellement en colère de les voir suspendre ses décisions qu’ils se sont lancés dans une intense campagne de délégitimation des juges qui ont osé leur mettre des bâtons dans les roues, les accusants d’être “gauchistes” et “corrompus” et appelant à leur renvoi. Qu’importe si certains de ces magistrats ont été nommés par des présidents républicains voire Trump lui-même.
En commentant le jugement “monumental” de vendredi, lors d’une conférence de presse, le locataire de la Maison-Blanche n’a pas boudé son plaisir. “Ces derniers mois, nous avons vu une poignée de juges d'extrême gauche tenter de contourner les pouvoirs légitimes du président afin d'empêcher le peuple américain d'obtenir les politiques pour lesquelles il a voté en nombre record. C'était une grave menace pour la démocratie”.
À ses côtés, la procureure générale des États-Unis, Pam Bondi, a enfoncé le clou: “Nous n’aurons plus de juges véreux qui invalident les politiques du président Trump dans tout le pays”.
Les Démocrates, eux, n’avaient que leurs yeux pour pleurer. “La décision de la Cour suprême de limiter l’autorité dont disposent depuis longtemps les tribunaux pour bloquer les actions exécutives illégales constitue une étape sans précédent et terrifiante vers l’autoritarisme, un grave danger pour notre démocratie et une décision prévisible de la part de cette cour extrémiste MAGA”, a déclaré leur chef-de-file au Sénat, Chuck Schumer.
Et maintenant ?
Le jugement représente un saut dans l’inconnu. Dans l’affaire du droit du sol, la Cour suprême a donné trente jours aux plaignants et aux tribunaux inférieurs pour se mettre en conformité avec sa décision. Après cette période, le décret sur la citoyenneté pourrait entrer en vigueur dans les vingt-huit États qui n’ont pas fait partie de la plainte. Un enfant né de parents sans-papiers pourrait donc être reconnu américain dans certaines parties du territoire, avec les droits qui vont avec, mais pas dans d’autres. Du moins tant que le décret sera valide - il y a fort à parier que la Cour suprême sera appelée à trancher sur sa constitutionnalité dans le courant de l’année prochaine.
En attendant, les défenseurs du droit du sol (“birthright citizenship”) explorent de nouveaux outils pour bloquer le texte présidentiel. Certains notent que les suspensions universelles pourront toujours s’appliquer dès lors que les États fédérés initieront une plainte. Autre possibilité: monter une “class action”, un recours collectif où un petit nombre de personnes peut se pourvoir en justice au nom d’une partie de la population (“classe”) affectée par la mesure contestée. En cas de victoire, la décision du juge s’appliquerait à tous les membres de la “classe”, ce qui peut avoir une portée nationale en fonction de la taille du groupe.
Le problème: ce type d’action judiciaire doit satisfaire des critères stricts pour être recevable et validée par le juge (classe assez grande, représentativité des plaignants…). Elles sont également plus coûteuses et moins faciles à coordonner que les demandes de suspensions. “Pour leurs détracteurs, les injonctions nationales représentent un raccourci procédural moins robuste et plus facile à obtenir que les recours collectifs. Mais je pense que ces critiques ont tout faux : si l’injonction nationale est devenue populaire aujourd’hui, c’est uniquement parce qu’il est excessivement fastidieux de certifier un recours collectif national et d’obtenir réparation dans ce cadre”, a écrit Steve Vladeck, professeur de droit à Georgetown, dans sa newsletter, One First, en avril dernier.
Ceux qui critiquent la décision de la Cour suprême craignent qu’elle n’encourage le gouvernement Trump à aller plus loin que le droit du sol. Il pourrait en profiter pour relancer des mesures suspendues par des juges : les coupes budgétaires, les politiques de promotion de la diversité et de l’inclusion (DEI), les droits des transgenres… Si les futures suspensions ne s’appliquent qu’aux plaignants, le résultat pourrait être un “patchwork” de règles à travers le pays. Du moins le temps de la mise en pause. Sur le long-terme, la décision de vendredi pourrait renforcer le fossé existant entre les États bleus (démocrates) et rouges (républicains) dans différents domaines législatifs : exercice du droit de vote, accès à l’avortement, règles environnementales, etc…
Toutefois, même si la Cour suprême a enlevé une bonne épine du pied de Donald Trump, cela ne rend pas les décisions du chef de l’exécutif plus conformes à la Constitution. Quelques heures après le coup de tonnerre de la haute-cour, un juge de Washington bloquait de manière permanente un décret signé par le milliardaire pour sanctionner des cabinets d’avocats ayant représenté des clients qui lui étaient opposés.
Avant de se quitter…
Le troisième épisode de la saison 4 de mon podcast “C’est ça l’Amérique” est sorti sur le site de La Croix. Avec la professeure de sciences politiques et spécialiste de l’immigration, Fanny Lauby, nous avons dressé un état des lieux de la promesse de Donald Trump d’expulser tous les sans-papiers du territoire américain. L’épisode a été enregistré et diffusé avant la décision de la Cour suprême. Bonne écoute !
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