Ces élections dont on ne parle pas
Il n'y a pas que la Maison-Blanche dans la vie.
Dans Le Caucus, on s’intéresse beaucoup à la présidentielle du 5 novembre. Mais cela fait quelques temps que je veux attirer votre attention sur les autres scrutins qui se dérouleront en même temps - et qui, dans certains cas, sont tout aussi importants pour le quotidien des Américains.
En effet, quand vous voyagez dans le pays en septembre ou octobre, vous trouverez à certains carrefours d’innombrables panneaux multicolores qui tentent d’attirer l’attention des automobilistes. Il s’agit de pancartes de candidats qui se présentent à des postes locaux divers, mais aussi à la Chambre des Représentants et au Sénat des États-Unis. J’ai pris la photo ci-dessus devant un bureau de vote de Phoenix (Arizona) il y a quatre ans pour vous donner une idée de la quantité de sièges en jeu lors d’Election Day. Voici les élections à suivre dans l’ombre de la Maison-Blanche.
Dans les États
Tous les quatre ans, les Américains renouvellent une grande partie de leur représentants à différents échelons du pouvoir. Ils votent notamment pour leurs juges, membres de conseils scolaires (school boards), trésoriers de comtés, entre autres... C’est la magie de la démocratie américaine (même s’il est parfois difficile de s’y retrouver tant certains postes sont obscurs) !
À surveiller: les parlements d’États, composés, comme au niveau fédéral, d’une assemblée législative et d’un sénat. La National Conference of State Legislature (NCSL) nous rappelle que 5 808 des 7 386 postes d’élus fédérés dans quarante-quatre États seront soumis aux suffrages des électeurs. Traditionnellement peu couvertes par la presse nationale car très locales, ces élections ne doivent pas être négligées. Dans le système fédéral, les États ont des compétences propres dans le domaine de l’éducation, l’organisation des élections, le contrôle des armes à feu et la politique d’accès à l’avortement, comme on l’a vu depuis la révocation de l’arrêt Roe v. Wade.
Par ailleurs, onze États se choisiront des gouverneurs, le chef de leur pouvoir exécutif. Le but ultime pour chaque parti: parvenir à une “trifecta”, soit le contrôle de deux chambres législatives et du siège de gouverneur pour pouvoir faire passer un maximum de lois.
Plusieurs endroits seront à regarder de près cette année. Les Démocrates pourraient réaliser le fameux triplé dans plusieurs “swing states”, comme la Pennsylvanie et l’Arizona, tandis que les Républicains sont en mesure de prendre les commandes du Nevada. En Caroline du Nord, où les Démocrates croient en leur bonne étoile depuis l’entrée en campagne de Kamala Harris, la situation est complètement ouverte: chacun des deux partis peut se saisir des trois leviers du pouvoir.
D’après le site Ballotpedia, les Démocrates ont cependant le plus à perdre. Ils ont davantage de “trifectas” à risque (sept contre quatre pour les Républicains). Si le pouvoir est partagé (“divided government”), le passage de lois sera plus difficile car le gouverneur ou l’une des chambres pourra bloquer la procédure.
“Ballot initiatives”, l’avortement concentre l’attention
Près de 150 référendums (ballot initiatives) dans différents États seront également organisés dans le cadre des élections de novembre 2024. Ces scrutins font plus parler d’eux que le renouvellement des parlementaires car certains d’entre eux porteront sur l’accès à l’avortement dans des États où il est remis en cause. C’est l’un des enjeux majeurs de 2024.
Plusieurs initiatives visant à inscrire le droit à l’IVG dans les constitutions d’États sont à suivre cette année: l’Arizona, où une interdiction de l’avortement datant du XIXème siècle est brièvement entrée en vigueur en 2024 à la suite d’une décision de la Cour suprême de l’État, le Nevada ou encore la Floride. Dans cette dernière, l’IVG n’est plus légale dans la plupart des cas après six semaines de grossesse depuis l’entrée en vigueur d’une loi controversée soutenue par le gouverneur, Ron DeSantis. Donald Trump, qui essaie de se montrer moins extrême sur le sujet, a émis des réserves dessus, quitte à se mettre à dos les militants “pro-vie”.
Les Démocrates espèrent que ces consultations permettront de créer un surcroît de participation en leur faveur. Dans tous les États où la protection de l’avortement a été soumise à l’approbation populaire, le droit des femmes à choisir l’a emporté, y compris dans des territoires conservateurs (Kentucky, Kansas, Ohio…).
L’avortement ne sera pas le seul sujet important: le vote de non-citoyens, la légalisation du cannabis récréatif, l’augmentation de salaire minimum feront aussi l’objet de référendums dans différents États.
Le Congrès, le problème des Démocrates
Les médias se concentrent logiquement sur les chances de victoire de Kamala Harris, mais moins sur comment elle gouvernerait en cas de succès. C’est pourtant une question majeure. Pour avoir les coudées franches, mieux vaut disposer d’une majorité dans les deux chambres du Congrès, la Chambre des Représentants et le Sénat. Or, cette perspective est loin d’être assurée pour les Démocrates.
À la Chambre, ils ont une carte à jouer. La majorité républicaine ne tient qu’à un fil: 220-211 et quatre sièges vacants qui penchent côté démocrate pour trois d’entre eux. En d’autres termes, les alliés de Kamala Harris ne doivent reprendre que quatre petits sièges pour franchir la barre des 50% des 435 députés. D’après le Cook Political Report, la bataille pour la House se jouera dans vingt-quatre circonscriptions (treize détenues par les Républicains, onze pour les Démocrates). Il faudra notamment surveiller les trois sièges new-yorkais et les cinq californiens. À eux seuls, ils pourraient déterminer quel parti contrôlera la Chambre pour les deux années qui viennent.
Au Sénat, la situation est plus inquiétante - pour ne pas dire désespérée - pour la gauche. Avec 51 sièges contre 49 actuellement (sur cent au total), elle ne peut se permettre que d’en perdre un seul si elle veut conserver sa majorité (si Kamala Harris remporte la Maison-Blanche, son vice-président Tim Walz sera chargé de départager les deux camps). Or, les Démocrates sont quasiment assurés de perdre leur siège en Virginie occidentale. Celui-ci est actuellement occupé par le centriste Joe Manchin, qui a annoncé son départ à la retraite à la fin de son mandat. Dans un État qui a voté à près de 70% pour Donald Trump en 2020, il faisait office de survivant. Le Républicain Jim Justice a de fortes chances de lui succéder.
Cela met les Démocrates dans la situation peu envieuse de devoir défendre tous les autres sièges où ils sont en course. Il y en a beaucoup: 23 sur les 34 en jeu. De tous ceux-là, l’Ohio et le Montana pourraient couler les ambitions du Parti de l’âne car ces États ont largement voté Trump en 2020. Dans le Montana, le sénateur sortant Jon Tester, qui brigue un nouveau mandat, fait partie des rares à ne pas avoir apporté son soutien officiel à Kamala Harris. Il ne s’est même pas rendu en août à la Convention nationale démocrate (DNC) de Chicago pour assister à l’intronisation de la vice-présidente. Il a argué qu’il devait s’occuper de sa ferme et assister à un concert du groupe de rock Pearl Jam… “Je ne soutiendrai personne dans la présidentielle car 1. je suis concentré sur ma campagne et 2. les gens veulent donner à cette élection une portée nationale alors qu’il ne s’agit pas de politique nationale, mais du Montana”, a-t-il fait valoir lors d’une conférence de presse.
Le débat de mardi dernier a été dominé par les déclarations de Donald Trump sur les migrants de Springfield (Ohio) qui mangent des chats et des chiens. Mais il n’a pas dit que des bêtises pendant son face-à-face avec Kamala Harris. Il a notamment observé - justement - qu’elle ne pourrait pas rétablir les dispositions perdues de Roe v. Wade (avortement légal jusqu’au seuil de viabilité du foetus) par voie législative, comme elle le voudrait, car il y a de fortes chances pour qu’elle n’ait pas de majorité au Congrès si elle est élue. Et, de toute manière, la règle du filibuster requiert une super-majorité de soixante voix pour le passage de la plupart des propositions de loi. Un seuil qui pourrait être trop dur à atteindre sur un sujet aussi explosif que l’interruption volontaire de grossesse. “Le Congrès ne votera jamais dessus. C’est impossible (…) Ce ne sont que des promesses en l’air. Vous savez ce que cela me rappelle ? Quand ils ont dit qu’ils allaient effacer les dettes étudiantes et ça été une vraie catastrophe”, a dit le milliardaire en référence aux tâtonnements du gouvernement Biden sur cette promesse de campagne. “Ils (les Démocrates, ndr) parlent de l’avortement de la même manière”. Avec cet angle d’attaque, qu'il aurait dû davantage déployer pendant le débat, Donald Trump pourrait dissuader une partie de ceux qui envisagent de voter Harris.
Avant de se quitter…
Je suis très heureux de vous annoncer la troisième saison de mon podcast C’est ça l’Amérique, réalisé par le journal La Croix en partenariat avec le site d’information French Morning et le programme universitaire Alliance-Columbia. Chaque jeudi, je décrypterai les enjeux des élections de 2024 en compagnie d’un expert francophone établi aux États-Unis. Le premier épisode porte sur une question simple à la réponse complexe: Kamala Harris est-elle devenue la favorite du scrutin ? À écouter ici.
tres interessant, merci Alexis de nous rapeller les enjeux sous-marins!