7 clés pour comprendre Kamala Harris
Et à ré-utiliser lors de vos dîners en ville.
Quelle campagne ! Il y a encore quelques semaines, on se dirigeait vers un “duel de mal-aimés” peu enthousiasmant entre Joe Biden, 81, et Donald Trump, 78 ans. Puis, il y eut ce débat catastrophique pour le Démocrate fin juin, une tentative d’assassinat contre le Républicain en juillet et, dimanche dernier, la décision du président sortant, atteint du Covid, de renoncer à se re-présenter. Il a annoncé son soutien à sa vice-présidente Kamala Harris dans la foulée, relançant la campagne.
Auteur d’une biographie sur la “VP”, Kamala Harris, l’héritière (Éd. L’Archipel, 2023), j’ai été contacté par de nombreux médias français et francophones pour parler de ses chances de succès face à Trump. Plutôt que de me pencher sur cette question, je voulais profiter de ce “Caucus” pour partager avec vous les clés qui permettent, d’après moi, de mieux cerner cette femme politique sur le point d’être investie candidate des Démocrates.
L’éternelle sous-estimée
Kamala Harris a beau avoir connu une ascension politique quasi-sans faute (à part sa campagne ratée pour les primaires démocrates de 2019) et remporté trois élections à l’échelle d’un État de 40 millions de personnes (deux fois comme procureure de Californie et une fois comme sénatrice), elle est souvent peu prise au sérieux. Or, son parcours politique nous enseigne qu’il ne faut pas la sous-estimer. En 2003, année de sa première campagne pour le siège de procureur de San Francisco, personne ne croyait en ses chances de victoire, y compris dans son entourage. À l’époque, elle était davantage vue comme une future “première Dame de San Francisco” que “première flic” de la ville comme elle entretenait une relation amoureuse avec Willie Brown, le charismatique maire de SF de trente ans son aîné, séparé mais pas divorcé. Dans cette élection formatrice, elle a affronté son bouillonnant ex-patron, Terence Hallinan, qui était le procureur sortant et un vétéran de la scène politique locale. Mais elle est parvenue à convaincre les grandes fortunes de San Francisco de la soutenir financièrement et a redoublé d’efforts sur le terrain pour convaincre les électeurs. Elle a fini par s’imposer au terme d’une campagne à couteaux tirés.
Quelques mois après son entrée en fonction, elle a connu son premier grand test: un policier en civil (Isaac Espinoza) tué par un délinquant. Malgré la pression des forces de l’ordre et de la classe politique, elle refuse de demander la peine de mort pour le meurtrier pour des raisons à la fois personnelles et pratiques. Cela lui vaut d’être lâchée par la police, avec qui elle est censée travailler main dans la main en tant que “proc” pour mettre les criminels sous les verrous. Mais au terme de plusieurs années de cajoleries, elle est parvenue à reconquérir les agents. En 2014, quand elle se présente pour un second mandat de procureur général de Californie, elle est endossée par tous les grands syndicats de police.
Avance rapide jusqu’aux primaires démocrates de 2019. Quelques mois après être sortie par la petite porte à cause de son incapacité à se positionner au milieu d’une vingtaine d’adversaires et à se défendre face à la remise en cause de son image de “procureur progressiste”, elle est repêchée par Joe Biden qui la nomme co-listière malgré cet échange contentieux lors d'un débat:
Avec sa victoire en novembre 2020, elle est devenue la première personnalité dans la ligne de succession présidentielle.
Enfin, la voici aujourd'hui aux portes de l’investiture démocrate alors qu'elle a fait l'objet pendant presque quatre ans d'articles assassins remettant en question ses compétences et son utilité. En à peine 48 heures, elle a pris le contrôle du Parti démocrate et réussi à faire l'union derrière elle. Un exploit dans une formation politique qui marche souvent en ordre dispersé.
En d'autres termes, sa vie et sa carrière sont faits de rebondissements et de retournements de situation. Bien qu’en position de force pour le moment, le camp trumpiste aurait donc tort de la sous-estimer. D’autant que les Démocrates vont concentrer la lumière dans les semaines qui viennent : la nomination du co-listier, la convention nationale du parti du 19 au 22 août avec le discours d'investiture, la possible annonce d'une peine contre Donald Trump dans l'affaire des paiements secrets versés à l’actrice pornographique Stormy Daniels… Ce tunnel nous emmènera jusqu'à l'ouverture du vote anticipé dans certains États américains dès la fin du mois de septembre.
Une personnalité précautionneuse
Kamala Harris n’aime pas les coups d’éclats. Certes, il y a des moments où elle a surpris son camp en prenant des positions à rebours de son parti. Comme dans l'affaire du meurtre de l’agent Espinoza en 2004. Plus tard, comme procureure générale de Californie, elle décide de quitter la table des négociations autour d'un accord pour dédommager les propriétaires immobiliers américains frappés par la crise des “subprimes”. Le gouvernement Obama voulait que cet accord soit conclu mais Kamala Harris estime que la Californie est lésée et claque la porte. Elle finira par obtenir un meilleur deal.
Mais cela n’est pas représentatif de sa méthode. Ceux qui ont travaillé avec elle décrivent une personnalité fondamentalement précautionneuse, prudente et méticuleuse. Ce qui lui a été souvent reproché au cours de sa carrière. Certains y verront l'influence de sa mentalité de procureur, qui doit se baser sur des faits pour construire une accusation solide. Pour ma part, je pense que cela renvoie plutôt à l'éducation donnée par sa mère Shyamala, scientifique spécialisée dans la recherche sur le cancer du sein. Elle invitait Kamala Harris et sa sœur Maya à adopter la démarche scientifique dans leur quotidien en formulant des hypothèses et en les remettant en question.
D'ailleurs, la vice-présidente a elle même regretté dans quelques interviews que la politique soit trop orientée vers la culture du résultat et pas assez vers le questionnement scientifique. Cette approche précautionneuse peut lui jouer des tours, notamment quand elle est prise au dépourvu lors de débats télévisés. En 2019, elle n’avait pas anticipé l’attaque de Tulsi Gabbard, l’une de ses rivales pendant les primaires, sur son bilan de procureure et est apparue incapable de se défendre efficacement. Face à Trump, elle est prévenue.
Difficile à situer idéologiquement
Kamala Harris est issue d'une ville de gauche, San Francisco, mais elle a évolué dans des milieux très masculins et conservateurs, en l'occurrence celui de la justice et de la police à un moment où une partie de la ville, dont ses grandes fortunes dans l’immobilier et la tech, avait l'impression que rien n’était fait par Terence Hallinan face à la hausse de la criminalité. Elle a donc été contrainte de jouer sur deux tableaux, à la fois progressiste mais aussi conservatrice et sécuritaire, pour séduire différents types d'électorats. Elle a ainsi pris des positions jugées cruelles sur la question de l'absentéisme - elle voulait mettre en prison les parents d'enfants qui séchaient trop souvent l'école - mais aussi pris des mesures avant-gardistes dans le domaine de la diversion carcérale et la réinsertion, par exemple. Comme procureure général de Californie, elle a dû faire les mêmes grands écarts. Certes, le “Golden State” est solidement démocrate, mais il renferme des poches républicaines et conservatrices qui voyaient d’un mauvais œil son appartenance à une ville aussi progressiste que San Francisco. Sur le sujet brûlant des violences policières contre les minorités, et sur d’autres dossiers, elle a ainsi donné l’impression de louvoyer à l’approche d’élections.
Conséquence: son bilan l’expose à des attaques de tous les côtés. Pour les progressistes, elle est trop modérée. Et pour les modérés, elle est trop progressiste. Cela s'est compliqué davantage ces dernières années avec le virage à gauche entrepris par le Parti démocrate. Pendant la primaire, elle a ainsi soutenu des idées vues comme radicales aux yeux de l’opinion publique américaine, comme la création d'une couverture santé publique universelle. Comme le Parti républicain a viré à droite, elle est automatiquement décrite comme une dangereuse gauchiste par le camp trumpiste. Ainsi, il est intéressant de voir la campagne du milliardaire essayer de la dépeindre comme procureure laxiste et anti-police, alors qu’on lui a reproché l’inverse il y a quatre ans…
Le rôle de femmes ambitieuses dans son enfance
Kamala Harris a été élevée par des figures féminines très fortes. À l'image de sa grand-mère maternelle impliquée en Inde dans la défense des droits des femmes et surtout de sa mère Shyamala, une Brahmane (caste indienne élevée) qui est devenue une scientifique réputée malgré des discriminations liées à sa couleur de peau, son genre et son accent. Celle-ci a élevé Kamala Harris et sa sœur Maya pour qu’elles deviennent à leur tour des “femmes noires” indépendantes et “fières”, comme l’ex-sénatrice l’expliquera dans son auto-biographie.
Lors de ses études universitaires à la prestigieuse Howard University, la “Harvard noire” à Washington, elle a fait partie d'une sororité nommée Alpha Kappa Alpha (AKA), le plus ancien groupe de femmes noires de ce genre aux États-Unis dont la mission est d'élever cette catégorie de la population dans la société américaine. Ce que Kamala Harris a fait au cours de ces postes successifs par ses choix de recrutement. Comme procureure, elle a aussi fait du mentorat pour des jeunes femmes de couleur. À la Maison Blanche, elle a poussé pour la nomination de la première juge afro-américaine Ketanji Brown Jackson à la Cour suprême. Ce soutien aux femmes noires, et en particulier les adolescentes, est l’une de ses lignes directrices.
Une enfance confortable
Même si ses parents ont divorcé quand elle était jeune, Kamala Harris a connu une enfance relativement heureuse, élevée par sa mère et différentes personnalités afro-américaines. Contrairement à ce que l’on peut lire ici et là, elle n'a pas grandi dans la misère - au contraire - mais elle raconte toutefois que Shyamala avait du mal à cumuler la casquette de cheffe de famille et son travail exigeant en laboratoire. Dans le multiculturalisme de la Baie de San Francisco et celui de Montréal, où elle a passé une partie de son adolescence, elle ne semble pas avoir été victime d’actes racistes marquants, même si les adultes autour d’elle l’ont été. Pour certains, cela explique le manque de compassion apparent dont elle a fait preuve avec son approche punitive de l’absentéisme, jugée cruelle envers les familles mono-parentales, pauvres et non-blanches, où les enfants sont souvent livrés à eux-mêmes, ou de la consommation de cannabis.
Et non, elle ne parle pas français
Kamala Harris a vécu à Montréal quand elle était adolescente, une partie de sa vie dont elle parle peu, peut-être de peur de ne pas paraître assez patriotique (Mitt Romney et John Kerry en savent quelque chose !).
Elle n'a pas appris le français sur place et ne le parle pas de manière fluide. En revanche, sa mère était une grande francophile et a collaboré avec la France dans ses recherches, en particulier avec le professeur Étienne-Émile Baulieu, le père de la pilule abortive (elle n’a pas travaillé sur ce dernier projet avec lui).
Avant de se quitter…
Vous êtes nombreux à me demander où trouver “Kamala Harris, l’héritière”. Voici:
- en librairie en France
- les librairies françaises aux États-Unis: Albertine à New York, Bonjour Books à Washington, European Books à Berkeley…
- sur le site de l’éditeur, L’Archipel
- la plateforme Réseau des auteurs francophones (pour les États-Unis)
- d’autres plateformes en ligne (Amazon…)