Dans le quartier des débuts d'Obama, point de "Kamala-mania"
Reportage dans le complexe HLM d'Altgeld Gardens pendant la convention.
Au bout d’une ligne de bus qui s’étire jusqu’aux confins du sud de Chicago, Altgeld Gardens semble loin de tout. Composé d’une série de lotissements de petits bâtiments en briques bordant des pelouses avec des bancs et parfois des aires de jeux, ce complexe HLM datant des années 1940 est en tout cas très éloigné du glamour de la Convention nationale démocrate (DNC), qui s’est refermée jeudi 22 août à quelques kilomètres au nord avec le discours de la candidate investie, Kamala Harris.
Ici, loin de la bulle qu’a représenté ce grand raout, point de “Kamala-mania” ou de “Kamala-mentum” pour reprendre des expressions dont raffole la presse. “Les médias font d’elle une sensation. En plus, elle n’est pas une vraie noire”, affirme une habitante qui a souhaité rester anonyme, en référence aux origines jamaïcaines et indiennes de la vice-présidente. “En tant qu’Afro-Américaine, je me sens insultée quand elle clame qu’elle est comme nous”.
Pourtant, un autre métis célèbre était autrefois une star à “Altgeld”. Dans les années 1980, un certain Barack Obama était “community organizer” (“organisateur de groupes sociaux”) dans ce quartier pauvre, presque exclusivement afro-américain (97% de la population), aidant les locataires à se mobiliser pour réclamer de meilleures conditions de vie. Le président qu’il est devenu par la suite a laissé un bon souvenir à la population. Certains habitants rencontrés au hasard des rues quasiment vides évoquent sa réforme du système de santé et les “Obamaphones”, ces téléphones portables donnés aux plus pauvres.
Cependant, la vie ne semble pas s'être améliorée depuis. Au contraire. Si bien que plusieurs de mes interlocuteurs se demandent aujourd’hui à quoi bon voter. En effet, Démocrates ou Républicains au pouvoir, c’est kif-kif. Le lycée du coin est toujours fermé et envahi par les lierres. Il n’y a plus d’épicerie et pour les nombreux locaux qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture, il faut se reposer sur la seule ligne de bus qui traverse le quartier. Les laveries, où l’on se retrouve pour ragoter, constituent les seuls commerces de proximité restants dans ce voisinage miné par la violence liée aux armes à feu. Les noms des victimes de ce fléau s’étalent sur les parois d’un tunnel du coin qui apparaît dans le film “Southside with you”, sur le premier rendez-vous galant entre Michelle et Barack Obama en 1988.
“Les besoins sont énormes”, explique Leontyne King, une volontaire qui participe à un programme de distribution de repas gratuits pour les familles, le temps des vacances scolaires. Elle a une bonne image de Kamala Harris, mais ne sait pas encore si elle va voter pour elle. “Je vois qu’elle est entourée de beaucoup de femmes riches et diplômées. Mais je me demande ce que cela signifie pour nous, les couches populaires”, explique-t-elle en se grillant une clope.
Un homme qui dit s’appeler Fred, lui, attend le fameux bus. Il est toujours indécis. “Je ne la connais pas assez. Je veux entendre ce qu’elle propose sur les questions de sécurité et de lutte contre les trafics de drogue. C’est un gros problème ici”.
Pour sa part, J.J. a fait son choix. À l’image d’un nombre grandissant de jeunes hommes noirs, comme lui, il compte soutenir Trump… même s’il ne l’aime pas. “Je n’apprécie guère son style, mais je ne pense pas qu’une femme puisse diriger le pays. Elle va être attaquée de toute part sans relâche. Ça sera plus difficile pour elle de gouverner que pour lui”, affirme-t-il.
Keith Cury, qui s’occupe d’un programme éducatif pour les jeunes Afro-américains, est prêt à donner sa chance à Kamala Harris, même s’il ne sait pas grand chose d'elle. “Elle a l’air compétente et, comme Obama, elle incarne un changement. Mais si elle gagne, je ne sais pas si on la laissera gouverner”, cautionne-t-il. Allusion à l’opposition aux accents racistes à laquelle avait fait face le premier président noir de la part du Parti républicain et du mouvement populiste Tea Party. “On sait comment ce pays traite les Noirs”.
Avant de se quitter…
La Convention nationale démocrate (DNC) de Chicago fut intense, avec plusieurs articles à rendre tous les jours, mais à la fin, il y a toujours une belle récompense: le traditionnel lâcher de ballons bleu-blanc-rouge sur la foule. Voici la scène que j’ai filmée depuis les gradins, après le discours d’investiture de Kamala Harris. La campagne est lancée !
Comme pour Hillary, c’est toujours le risque quand on présente une femme candidate. Au dessus du racisme, la misogynie va encore lui mettre des bâtons dans les roues.