Donald Trump s'en tire bien
Certes, il doit un demi-milliard de dollars d'ici lundi 25 mars, mais sa situation judiciaire pourrait être bien pire.
La semaine a mal commencé pour Donald Trump. On a appris, lundi 18 mars, que l’homme d’affaires n’était pas en mesure de payer, avant la date butoir du 25 mars, l’amende astronomique de 454 millions de dollars due à l’État de New York dans le cadre de sa condamnation pour fraudes. Ses avocats ont indiqué dans un document judiciaire qu’ils avaient approché une trentaine d’assureurs pour l’aider. En vain.
Cet aveu d’impuissance a donné lieu à une vague de spéculation médiatique sur comment le Républicain allait trouver le pactole et quels biens seront saisis par la procureure générale de New York, Letitia James. Après lundi, faute de paiement, elle pourra commencer à lui confisquer ses avoirs. Mar-a-Lago ? 40 Wall Street ? Son club de golf du Westchester ? On imagine déjà les autorités mettre les cadenas sur la Trump Tower…
Cependant, quand on regarde la situation froidement, on peut se demander si elle va réellement changer quelque chose pour Donald Trump sur le plan politique.
Pas vraiment de nouveauté
Dans les faits, les électeurs n’ont rien appris sur le candidat. Certes, cette affaire nous a montré que Donald Trump n’était pas aussi riche qu’il le disait, mais on le savait depuis longtemps - des décennies même. Elle ne va pas non plus faire changer d’avis ses supporteurs, qui considèrent ce coup de massue financier comme une illustration supplémentaire de la chasse aux sorcières dont il serait la victime.
Le seul argument de campagne fort qui peut sortir de cette histoire est l’idée que Donald Trump, dans sa quête désespérée d’argent, pourrait devenir dépendant d’un prêteur issu d’un État considéré comme hostile, comme la Russie. Avec des implications inquiétantes pour la sécurité nationale en cas de retour au pouvoir. Cette crainte n’est pas nouvelle non plus, mais elle pourrait être ravivée pour convaincre les électeurs indépendants de voter Biden.
Problème: rien ne dit que les conditions drastiques imposées au businessman resteront en place. En effet, la somme due pourrait être revue à la baisse à tout moment par la cour d’appel. Et Trump pourrait décider à contre-coeur de mettre certaines de ses entités commerciales en faillite, ce qui gèlerait la procédure…
Surtout, il a plus de ressources que le commun des justiciables. En plus de bénéficier de l’appui de groupes politiques pour prendre en charge ses frais d’avocats, il pourrait aussi profiter prochainement de la manne financière non-négligeable obtenue par la fusion de son réseau social Truth Social. L’opération, validée vendredi 22 mars, lui rapportera plus trois milliards de dollars en actions. Il ne peut pas les vendre tout de suite, et leur valeur pourrait baisser d’ici là, mais cette enveloppe représente tout de même une source de revenus importante.
“En réalité, on ne sait pas si les amendes vont lui être réellement dommageables”, résume Bob Jarvis, professeur de droit constitutionnel à la Nova Southeastern University (Floride).
Les affaires pénales ralenties
Aussi faut-il rappeler que l’ancien président pourrait être dans une situation judiciaire beaucoup plus délicate. Visé par quatre affaires pénales (gestion des archives confidentielles de la Maison-Blanche en Floride, paiements secrets à l’actrice X Stormy Daniels à New York et les tentatives d’inversement des résultats de la présidentielle à Washington et en Géorgie), le tribun est parvenu jusqu’à présent à éviter le démarrage de procès embarrassants au moment où la campagne contre Joe Biden s’intensifie.
Comment? Un mélange de stratégie, d’erreurs de la part des procureurs et de coups de chance. Jusqu’à présent, force est de constater que ses avocats ont rempli avec brio leur objectif : tout faire pour gagner du temps. Leur espoir: éviter toute condamnation avant l’élection du 5 novembre pour permettre à leur client de mettre un terme aux poursuites s’il revient à la Maison-Blanche.
Dans l’affaire de la tentative de subversion de l’élection de 2020 (dite du “6-Janvier”), jugée à Washington, la défense du Républicain est ainsi parvenue à retarder l’ouverture du procès, prévue pour le 4 mars, en arguant que Trump jouissait d’une immunité présidentielle. À présent, la Cour suprême doit trancher la question, mais ne le fera pas avant juin. Il gagne ainsi quelques mois.
En Géorgie, où se déroule l’enquête sur la remise en cause présumée des résultats de la présidentielle dans cet État clé, l’homme d’affaires et ses co-inculpés ont su exploiter une maladresse de la procureure du comté de Fulton, Fani Willis, qui a nommé un employé avec lequel elle entretenait une relation amoureuse pour piloter l’instruction. Un juge lui a ordonné de le remplacer, entraînant là encore retards et digressions dans cette affaire pourtant cruciale. Avec celle des paiements secrets à Stormy Daniels, c’est la seule où “le Donald” ne pourra pas s’auto-gracier s’il est réélu, car elle dépend d’un État fédéré et non du fédéral.
En Floride, où il est poursuivi pour avoir conservé et partagé sciemment des documents confidentiels après la fin de sa présidence, le hasard du tirage au sort des juges a fait que le dossier est suivi par la magistrate Aileen Cannon. Un coup de chance pour le milliardaire: nommée par lui en 2020, elle est accusée de traîner des pieds pour fixer la date d’un éventuel procès. Ses affinités politiques avec l’ex-président et son manque d’expérience dans des affaires aussi complexes sont mises en cause par ses détracteurs.
Pas de condamnation au pénal avant l’élection ?
D’après Bob Jarvis, Donald Trump profite aussi du retard pris par l’accusation dans la préparation des procès. En effet, il a fallu attendre avril 2023 pour que le procureur de Manhattan, Alvin Bragg, décoche la première inculpation contre le Républicain. Le procès devait s’ouvrir lundi 25 mars, mais il a lui aussi été reporté. “Le vrai problème, c’est que ces affaires auraient dû être lancées il y a des années, dit-il. Ces délais sont liés au profil extraordinaire de l’accusé: jamais un ancien président n’a été arrêté. Les procureurs voulaient s’assurer que les dossiers étaient solides, car ils avaient peur d’être traînés dans la boue par les médias de la droite dure… Ils l’ont été quand même.”
Son verdict: “Je doute qu’il y ait une quelconque condamnation avant la Convention républicaine de juillet, où il sera formellement investi candidat du parti, ou même l’élection de novembre. Il y aura des appels et lenteurs inhérentes à la procédure judiciaire, estime Bob Jarvis. Plus on se rapprochera de ces échéances, plus sa stratégie de victimisation, où il fait croire depuis un an qu’il est la cible d’une chasse aux sorcières, deviendra audible. S’il parvient à jouer la montre encore quelques mois, il pourrait s’en sortir.”
Avant de se quitter…
Cette semaine, j’ai passé du temps sur le campus de Medgar Evers College, une université majoritairement noire de Brooklyn où se déroule jusqu’à samedi soir la Conférence nationale des écrivains noirs. En ouverture, mercredi, l’auteur afro-américain Michael Eric Dyson a appelé sa communauté à ne pas faire la fine bouche et à voter pour Joe Biden au moment où plusieurs sondages montrent qu’elle se détourne du Parti démocrate. Il a notamment dit que le président blanc de 81 ans avait fait plus que Barack Obama pour nommer des femmes noires à des postes clés, allusion à la vice-présidente Kamala Harris et la juge de la Cour suprême Ketanji Brown Jackson.
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