Donald Trump, tout-puissant ?
Ce que la "trifecta" républicaine signifie pour le pays.
Les mauvaises nouvelles ont continué à s’accumuler pour les Démocrates cette semaine. Après avoir perdu la Maison-Blanche et le Sénat, l’Associated Press (AP) a rapporté mercredi qu’ils ne reprendront pas le contrôle de la Chambre des Représentants, leur dernier espoir de contre-pouvoir face à Donald Trump à Washington.
Quelques heures après la rencontre entre Joe Biden et le président-élu dans le Bureau ovale, l’agence de presse américaine, qui fait autorité en matière dans la centralisation des résultats, a annoncé que le “Grand Old Party” (GOP) avait atteint le seuil des 218 sièges synonyme de majorité dans une assemblée qui en compte 435.
Un seul parti contrôle donc le pouvoir exécutif et les deux chambres du Congrès pendant au moins deux ans. Dans le foot, on appelle cela un triplet. En politique américaine, c’est une “trifecta”. Cela veut-il dire que Donald Trump sera tout-puissant ? La réponse est nuancée et un peu technique - je m’en excuse d’avance !
Comme un air de 2017
La situation actuelle évoque 2017, la dernière fois que le Parti républicain était aux manettes de la Maison-Blanche et du Congrès. Concrètement, cela signifie que Donald Trump pourra mettre en oeuvre son programme plus facilement que s’il était en cohabitation. Il devrait ainsi pouvoir renouveler les baisses d’impôts qu’il a fait adopter en 2017 quand elles arriveront à expiration en 2025 et réformer aisément le système migratoire, par exemple.
Au Sénat, où les Républicains détiendront 53 sièges contre 47 pour les Démocrates à l’entrée en fonction du nouveau Congrès début janvier, la majorité lui donnera notamment la possibilité de placer des juges conservateurs dans les tribunaux fédéraux à travers le pays et à la Cour suprême si un siège se libère. En effet, ce sont les sénateurs qui sont chargés de confirmer la candidature de ces juristes nommés par le locataire de la Maison-Blanche pour se prononcer sur la constitutionnalité des lois et des actes de l’administration. Lors de son premier mandat, Donald Trump avait été rudement efficace dans ce domaine. En janvier 2021, plus d’un quart des 816 juges fédéraux en activité avaient été choisis par le Républicain, d’après le Pew Research Center.
Auréolé d’une légitimité qu’il n’avait pas à son entrée en fonction en 2017 (il n’avait pas remporté le vote populaire à l’époque), Donald Trump pourra compter cette fois-ci sur des parlementaires au pas. Les bancs du Sénat ne comptent plus que trois des sept élus républicains qui ont voté pour sa destitution en 2021 après l’attaque du Capitole le 6 janvier. À la Chambre des Représentants, ils ne sont plus que deux sur dix.
Il pourra également compter sur une Cour suprême plus favorable qu’il y a quatre ans. Avec trois juges nommés pendant la première présidence Trump, la plus haute cour du pays, tribunal de dernière instance, a désormais une majorité conservatrice.
Le test
Donald Trump semble néanmoins désireux de tester la loyauté de ses troupes sans attendre, comme l’a justement noté le Washington Post. La nomination de ministres controversés constitue l’une de ces mises à l’épreuve. En effet, dans l’architecture institutionnelle américaine, ce sont les sénateurs qui sont chargés de valider les nominations des membres du “Cabinet” (responsables les plus importants de l’exécutif). Or, le profil de certains individus proposés pose problème. C’est le cas de l’anti-vax Robert F. Kennedy Jr., pressenti à la Santé, l’ancien militaire et animateur de Fox News, Pete Hegseth (Défense), accusé d’agression sexuelle en 2017, ou encore de l’ex-députée de Hawaï, Tulsi Gabbard, promise à la direction du renseignement national alors qu’elle n’a pas caché sa poutinophilie dans le passé.
De tous les cas problématiques, celui de Matt Gaetz est certainement le plus délicat pour les parlementaires. Donald Trump voudrait placer ce député star du mouvement MAGA (“Make America Great Again”) à la tête du puissant Département de la Justice, le même qui s’était penché sur Gaetz dans le cadre d’une affaire de trafic sexuel ouverte en 2019. L’investigation n’avait rien donné. L’élu de Floride est toutefois toujours visé par une enquête parlementaire pour une relation sexuelle supposée avec une mineure et d’autres agissements.
Le timing de l’annonce de sa nomination est intéressant. Elle a été faite par Trump juste après que les Républicains au Sénat se sont choisis un nouveau patron en remplacement de Mitch McConnell: John Thune (Dakota du Sud). Pour le milliardaire, l’objectif était clair: mettre ce nouveau leader sous pression d’entrée de jeu. Burgess Everett, du site Semafor, a écrit, vendredi, que Thune avait “le job le plus difficile du Congrès”.
Les sénateurs républicains se risqueront-ils à torpiller la candidature de Gaetz au risque de froisser Donald Trump ? Pas sûr. Les rejets de ministres potentiels choisis par de nouveaux présidents sont extrêmement rares. Le dernier en date remonte à 1989, quand la nomination du Texan John Tower par George H.W. Bush comme ministre de la Défense a été tuée dans l’oeuf par les sénateurs au motif qu’il buvait trop et exhibait un comportement problématique envers les femmes.
Toujours selon le Post, même les détracteurs de Matt Gaetz semblent prêts à lui donner sa chance. Ce dernier a reçu un appui de poids côté Chambre des Représentants en la personne du “speaker”, Mike Johnson, qui s’est opposé à la publication des conclusions de l’enquête parlementaire qui devait aboutir dans les jours qui viennent. Motif invoqué: Gaetz n’est plus membre de la Chambre. En effet, il a démissionné mercredi dernier...
Donald Trump pourrait également tester la loyauté des sénateurs en les poussant à se retirer de la procédure de confirmation de ses nominés: une manoeuvre technique appelée “recess appointment”. Celle-ci permettrait au nouveau président de constituer son gouvernement en se passant du feu vert du Sénat. Là encore, cela met John Thune et les autres leaders du parti à la chambre haute dans une position délicate: faut-il qu’ils s’inclinent et abdiquent une partie de leurs pouvoirs ou envoyer le président balader et risquer de se le mettre à dos dès le début de son mandat ?
Des majorités restreintes
Si Donald Trump est dans une position confortable, ses majorités dans les deux chambres ne lui donnent pas pour autant une marge de manoeuvre énorme. Au Sénat, une règle technique appelée “filibuster” contraint la plupart des propositions de lois à obtenir le soutien de soixante sénateurs sur cent (et non une majorité simple de cinquante-et-un) pour qu’elles soient adoptées. Avec cinquante-trois sièges, les Républicains sont encore loin du compte. Ils devront donc s’appuyer sur les votes de certains Démocrates pour gouverner.
Par ailleurs, rien ne dit que le groupe républicain fera bloc sur toutes les propositions de loi. Certains sénateurs, comme Susan Collins (Maine) and Lisa Murkowski (Alaska), réputées modérées, ont prouvé dans le passé qu’elles savaient prendre le contre-pied de leurs collègues. Il faudra également surveiller le positionnement de John Curtis (Utah), le successeur de Mitt Romney, un anti-Trump notoire au sein du “Grand Old Party” qui a décidé de raccrocher les crampons.
À la Chambre des Représentants, le nombre final de sièges dont les Républicains disposeront n’est pas encore connu car le dépouillement est toujours en cours. Une chose est sûre: leur majorité sera étriquée, comme elle l’est depuis 2023. Elle le sera d’autant plus que Donald Trump a mis la main sur plusieurs députés pour rejoindre sa future équipe gouvernementale.
Conséquence: les Républicains seront à la merci de défections ou de chantages dans leur camp, comme on l’a vu en 2023 avec la valse des “speakers” (présidents de la Chambre) sur fond de querelles entre les différentes factions du parti. Cette situation donne un pouvoir disproportionné aux éléments les plus extrêmes… mais aussi aux modérés, représentant des circonscriptions avec d’importantes populations démocrates. Ceux-là pourraient réfléchir à deux fois avant de voter pour des textes controversés, comme l’abrogation de la réforme de système de santé “Obamacare” ou l’interdiction nationale de l’accès à l’avortement.
Le sénateur démocrate Chris Van Hollen (Maryland) s’est voulu rassurant. Dans une interview sur NBC, mercredi, il a confié que ces majorités serrées “offraient des opportunités” à son parti. “Si les Républicains essaient vraiment de faire adopter des mesures extrêmes, ils se retrouveront avec un sacré combat sur le dos”.
Avant de se quitter…
Dans la famille “les potes ont du talent”, je demande… Nastasia Peteuil. Dans sa nouvelle infolettre sur Substack, “Appelle-moi Frenchy”, elle nous présente son travail de photo-journaliste installée en banlieue de Washington. On y trouve notamment une série réalisée sur le campus de Howard University pendant le discours de défaite de Kamala Harris début novembre. Je me suis abonné sans attendre ! Vous devriez en faire de même. Bon week-end !
Merci pour le partage Alexis, t’es mots font chaud au cœur !