Gaza hante la Convention démocrate
L'intronisation de Kamala Harris va-t-elle partir en vrille ?
Les participants à la Convention nationale démocrate (DNC) sont en route ce week-end pour Chicago, où le grand raout du parti débutera lundi 19 août - et durera jusqu’au jeudi 22. Comme me l’a confié l’un des plus de 4 000 délégués qui s’y rendra, “s’il y a bien une convention à voir, c’est celle-ci”. En effet, au vu de l’effervescence autour de la candidature de Kamala Harris, le rendez-vous promet d’être euphorique. Toutes les “stars” démocrates seront là - Joe Biden, Barack Obama, Bill et Hillary Clinton notamment - pour s’exprimer avant que la vice-présidente n’accepte, au dernier jour, sa nomination comme candidate du parti à la Maison-Blanche. Jamais une femme de couleur n’avait atteint un tel stade.
Mais ce grand moment d’unité pourrait être perturbé par des militants pro-palestiniens, bien décidés à utiliser l’événement et l’attention médiatique qu’il draine pour faire pression sur la candidate. Leur objectif: obtenir un cessez-le-feu permanent et l’arrêt de l’envoi d’armes américaines à Israël. Dans “Le Caucus” de ce week-end, faisons un gros plan sur cette opposition à suivre pendant la semaine qui vient.
La “plus grande mobilisation pro-palestinienne de l’histoire de Chicago”
Au premier et dernier jour du DNC, une coalition de près de 200 groupes défendant des causes diverses organisera des marches aux abords de l’United Center, le site de la convention. D’après le porte-parole de l’initiative, Hatem Abudayyeh, il s’agira de “la plus grande mobilisation pro-palestinienne de l'histoire de Chicago, une ville qui a une riche tradition de contestation”. En effet, entre 30 000 et 40 000 personnes sont attendues, un cortège conséquent qui évoque pour certains les événements qui avaient perturbé la convention démocrate de 1968 sur fond de guerre au Vietnam.
Cela fait plusieurs mois que le projet est dans les cartons, mais l’itinéraire de la marche était incertain jusqu’à cette semaine. En effet, les organisateurs auraient aimé passer près de l’United Center, mais un juge en a décidé autrement. Rendez-vous est donc donné dans un parc. Parmi les participants, des Américains-Palestiniens et leurs soutiens venus de tout le pays, mais aussi de l’agglomération de Chicago, qui abrite une “Petite Palestine”. Formé à la fin du XIXème siècle, le quartier est meurtri par la situation à Gaza. “C’est difficile pour les personnes qui travaillent de participer à une marche un lundi à midi, mais il y aura beaucoup de locaux”, promet Hatem Abudayyeh.
Résistance de l’intérieur
À l’intérieur de la convention, il faudra surveiller les actions des délégués du mouvement “Uncommitted” (“non-engagé” ou “non-aligné”). Au nombre de trente-six issus d’États comme le Michigan et le Minnesota, ils représentent les électeurs démocrates qui ont voté “blanc” pendant les primaires en guise de protestation contre la politique de Joe Biden vis-à-vis d’Israël. Ils ne sont pas nombreux, mais au moment où le parti cherche à afficher son unité devant les médias du monde entier, ils savent que le moindre geste de protestation sera magnifié.
Le mouvement tiendra des conférences de presse quotidienne en présence d’élus progressistes, de personnels humanitaires qui se sont rendus à Gaza ou de représentants juifs, arabes et palestiniens favorables à un embargo sur les armes. Il a également réclamé aux organisateurs du DNC deux créneaux pour prononcer des discours devant l’assemblée. Ces créneaux sont très convoités car ils permettent une exposition médiatique non-négligeable et de faire passer des messages aux cadres du parti. Les “non-engagés” voudraient notamment qu’un pédiatre qui a travaillé à Gaza puisse s’exprimer. Pour l’instant, leur requête s’est heurtée à une fin de non-recevoir.
Kamala Harris souffle le chaud et le froid
Malgré le risque posé à son “intronisation”, Kamala Harris est en position de force. En effet, certains Démocrates font valoir que les “Uncommitted” ne représentent qu’une toute petite fraction des plus de 4 000 délégués présents à la convention. Il leur sera donc difficile d’obtenir l’inclusion de leurs revendication dans le programme officiel du parti (“platform”), qui doit être adopté par une majorité de délégués.
En outre, le reste de la formation politique montre des signes d’impatience envers cette minorité bruyante, d’autant qu’un accord de cessez-le-feu pourrait intervenir dans les jours qui viennent et qu’un changement de politique envers l’allié israélien est peu probable. Lors d’une réunion virtuelle entre les délégués du Michigan fin juillet pour déterminer s’ils allaient soutenir la candidature de Kamala Harris, l’un d’eux a lancé “ferme ta gueule, trou du c*l” à un “non-engagé” qui avait fait valoir qu’il voulait en savoir plus sur les positions de la vice-présidente avant de voter pour son investiture.
Kamala Harris elle-même a soufflé le chaud et le froid. Lors d’un récent déplacement dans le Michigan, berceau du mouvement où vit une importante population arabe, elle a indiqué à deux leaders “Uncommitted” qu’elle était ouverte à prolonger la discussion sur un éventuel embargo sur les armes, avant de faire dire par son conseiller à la sécurité nationale, Phil Gordon, qu’il était hors de question de remettre en cause l’assistance militaire à l’État hébreu. Elle n’a pas caché son agacement quand un petit groupe de manifestants pro-palestiniens a interrompu son discours. “Si vous voulez que Donald Trump gagne, dites-le ! Sinon, je parle”, leur a-t-elle lancé sous les applaudissements de la salle.
Aussi, la dynamique a changé. Dans le Michigan, un des “swing states” qui déterminera l’issue de la présidentielle, la menace d’une abstention de la population arabe et d’autres électeurs opposés à l’appui de Joe Biden à Israël semble d’être réduite avec l’entrée en campagne de Kamala Harris et l’enthousiasme retrouvé au sein d’autres électorats, comme la communauté afro-américaine ou les jeunes. En d’autres termes, elle a moins besoin de faire des courbettes à ceux qui critiquent le gouvernement pour sa politique au Proche-Orient.
Même certains militants ont commencé à mettre de l’eau dans leur vin, arguant qu’un retour au pouvoir de Donald Trump serait bien pire qu’une présidence Harris. “Nous devons aussi battre l’extrémisme en novembre”, rappelle Lexis Zeidan, l’une des dirigeantes du mouvement. Sans perspective de changement de politique au sommet de l’État, les défenseurs de la cause palestinienne se focalisent sur les échelons inférieurs (parlementaires nationaux et d’Etats, élus locaux…), qui seront également soumis au vote de la population même temps que la Maison-Blanche. Leur objectif: faire élire des représentants qui pourront défendre leurs idées au niveau local.
Avant de se quitter…
J’ai fait un tour à Gainesville (Floride), lundi, pour un reportage sur The Lynx Books, la nouvelle librairie de Lauren Groff, l’une des romancières les plus talentueuses de sa génération (et une chouchoute de Barack Obama). Sa particularité: elle met en avant tous les livres qui ont été interdits dans l’État. Pour en savoir plus, c’est par ici.