Joe Biden, la force de l'âge
Lors du Discours sur l'état de l'Union, il a cherché à faire de son âge (81 ans) un atout. Peut-il y arriver ?
Les États-Unis ont connu une actualité politique riche cette semaine, entre la décision de la Cour suprême sur l’éligibilité de Donald Trump lundi, le “Super Tuesday” mardi et le Discours sur l’état de l’Union jeudi.
Je vous avais préparé une belle newsletter sur un sujet complètement différent, mais il m’a paru intéressant de revenir sur le “State of the Union” (SOTU) de Joe Biden. Car quelque chose de remarquable s’est produit pendant ce rendez-vous politique et cathodique: le président américain de 81 ans - le plus vieux de l’histoire du pays - a enfin assumé son âge et a donné un aperçu de comment il comptait en parler jusqu’à la présidentielle du 5 novembre. Explications.
Qu’a-t-il dit ?
Pour ceux qui l’aurait raté, Joe Biden a livré, jeudi 7 mars, son troisième (et peut-être dernier) discours sur l’état de l’Union, une allocution de politique générale prononcée tous les ans par le président devant les représentants des trois pouvoirs (parlementaires, membres de l’exécutif, juges de la Cour suprême) et des invités réunis au Capitole. Pendant plus d’une heure, il s’est montré combatif et énergique, n’hésitant pas à improviser face aux interpellations de la salle. Même s’il a marmonné quelques phrases, c’était objectivement une bonne performance pour l’octogénaire, qui nous avait habitué à pire.
Pour moi, la fin de son intervention, quand il a abordé la question sensible de son âge, était le moment le plus fort de ce grand oral. Il a commencé en expliquant, avec une touche d’humour, que les années lui avaient donné de l’expérience: “Je n’en ai peut-être pas l’air, mais ça fait longtemps que j’existe. Et quand on arrive à mon âge, certaines choses deviennent plus claires que jamais. Je connais l'histoire américaine. J’ai vu à maintes reprises s’affronter des forces antagonistes dans la bataille pour l’âme de notre nation”.
Et de continuer: “Ma vie m'a appris à embrasser la liberté et la démocratie. Un avenir basé sur les valeurs fondamentales qui ont défini l’Amérique. Honnêteté. Décence. Dignité. Égalité”.
Il a ensuite tâclé Donald Trump sans le nommer, rappelant au passage qu’ils ont quasiment le même âge (77 ans contre 81). “Maintenant, d’autres personnes de mon âge voient une autre histoire. Une histoire américaine emplie de ressentiment, de vengeance et de châtiment. Ce n'est pas moi”. Malin.
Il a conclu son propos en rappelant son expérience de vie, de sa naissance pendant la Seconde guerre mondiale jusqu’à son accession à la présidence. “Dans ma carrière, on m’a dit que j’étais trop jeune et trop vieux. Que je sois jeune ou vieux, j’ai toujours su ce qui était immuable. Notre boussole. L’idée même de l’Amérique, selon laquelle nous sommes tous créés égaux et méritons d’être traités de manière égale tout au long de notre vie (…) Mes compatriotes, le problème auquel notre nation est confrontée n’est pas notre âge, mais l’âge de nos idées. La haine, la colère, la vengeance et le châtiment font partie des idées les plus anciennes. Mais on ne peut pas diriger l’Amérique avec des thèses anciennes qui ne font que nous ramener en arrière”, a-t-il dit dans une autre attaque voilée contre Donald Trump.
Pourquoi c’est significatif
C’est la première fois que j’entendais Joe Biden parler avec force de son âge, l’un de ses plus grands points faibles.
Jusqu’à présent, il a eu différents types de réactions quand les journalistes l’ont interrogé sur cette question: la contre-attaque (“regardez-moi !”…), l’humour (“je sais que j’ai 198 ans”, a-t-il plaisanté dans un discours) ou l’écoute (c’est “totalement légitime” de s’interroger sur son état mental). Mais aucune de ces réponses n’a rassuré l’opinion. Selon un récent sondage du New York Times-Siena College, 73% des Américains considèrent Biden trop vieux pour être efficace. Un avis que partage la majorité de ses électeurs de 2020. Vu comme plus énergique, Donald Trump ne souffre pas autant de ce problème, même s’il a connu lui aussi son lot de cafouillages.
Pis, tandis que le Démocrate minimisait l’impact du temps qui passe, la Maison-Blanche mettait discrètement en place différents stratagèmes pour lui éviter des moments embarrassants qui auraient fait le tour des réseaux sociaux (confusion, trous de mémoire, marmonnement, chutes…). En juillet, NBC News a rapporté que Biden empruntait désormais un escalier plus court pour monter à bord d’Air Force One et que la taille des lettres de ses textes de télé-prompteur avait été agrandie.
Selon le site d’information Axios, la Première dame, Jill Biden, le pousserait aussi à se reposer davantage et à surveiller son alimentation pour qu’il reste en forme (Joe Biden a dit dans le passé qu’il faisait du sport tous les matins entre 8h et 8h45). Certains dans son entourage craignent qu’un emploi du temps trop chargé ne le fatigue, risquant de le faire apparaître moins alerte en public et de renforcer ainsi l’idée qu’il est trop vieux pour assurer ses fonctions.
“Gérontologues de comptoir”
Lors de son Discours sur l’état de l’Union, Joe Biden a tenté une autre approche - plus astucieuse: assumer son âge et le relier à la défense de la démocratie, le thème central de sa campagne. Il a ainsi noté qu’il était né pendant la Seconde guerre mondiale “quand les États-Unis défendaient la liberté”. Une manière d’opérer un contraste avec Donald Trump qui remet en cause l’OTAN et s’acoquine avec les autocrates de la planète.
Il a aussi évoqué son souvenir de l’assassinat de deux de ses “héros” lors de la tumultueuse année 1968: Martin Luther King Jr. et Robert Kennedy, icônes du mouvement des droits civiques. Là encore, c’est une manière de se distinguer du Républicain, qui a défendu les suprémacistes blancs rassemblés à Charlottesville en 2017.
Cet effort pour changer la perspective sur son âge m’a rappelé une conversation que j’ai eue il y a quelques mois avec Jay Olshansky, un chercheur à l’Université de l’Illinois qui a étudié le vieillissement des locataires de la Maison-Blanche. Pour lui, les discussions autour de l’âge de Biden n’ont “pas de sens”. “Les théories qui circulent (sur sa sénilité, ndr) sont utilisées à des fins politiques. Elles proviennent de gérontologues de comptoir”, m’a-t-il dit.
En se penchant sur les bilans médicaux publics de Joe Biden, il a déterminé en 2020 que le Démocrate - tout comme Donald Trump - appartenait à la catégorie des “superseniors”, un groupe démographique qui maintient une meilleure forme physique et mentale que les autres hommes dans leur tranche d’âge. Il a même prédit que Biden vivrait plus longtemps que Donald Trump, qui affiche un risque plus élevé d’Alzheimer tardif du fait de son historique familial. “On ne doit pas minimiser le vieillissement. Avec le temps, on devient plus fragile. Je ne serais pas surpris que Biden rencontre les mêmes problèmes que n’importe quel octogénaire, mais la probabilité est moins forte que pour la population générale”, poursuit Jay Olshansky.
Dans une étude en 2011, il a calculé que les présidents américains avaient une espérance de vie plus longue que la moyenne de leurs concitoyens, tordant le cou au mythe qu’ils vieillissent plus “rapidement”. La raison: fortunés, ils ont souvent accès aux meilleurs soins. “L’âge chronologique est souvent utilisé comme une arme politique. Mais l’âge biologique, à savoir le rythme du vieillissement du corps, déterminé par des facteurs génétiques et comportementaux, est plus important. On peut avoir 80 ans et être plus jeune sur le plan biologique”, raconte-t-il.
Pour lui, les questionnements autour de la santé de Joe Biden reflètent avant tout l’âgisme ambiant aux États-Unis. “Nos sociétés associent le vieillissement à un déclin. Or, il y a beaucoup de choses qui s’améliorent avec le temps, comme l’expérience et l’intelligence. Ce n’est pas un hasard s’il y a un âge minimum (35 ans, ndr) pour devenir président !”
L’âge restera un problème majeur pour Biden
Même si Joe Biden a effectué une bonne performance lors du SOTU, les inquiétudes - légitimes - autour de son âge ne vont pas disparaitre du jour au lendemain, contrairement à ce qu’espèrent les Démocrates.
D’abord, il ne va pas rajeunir. Ensuite, toutes ses interventions publiques ne seront pas aussi cadrées que le Discours sur l’état de l’Union, un exercice où le président est traditionnellement mis en valeur. Quand il improvise, il tend à se prendre les pieds dans le tapis, comme après la publication du rapport du procureur spécial Robert Hur, qui a remis en question son acuité mentale et affirmé qu’il avait des problèmes de mémoire. Lors d'une conférence de presse organisée à la va-vite pour répondre aux accusations, le Démocrate a confondu les présidents mexicain et égyptien, relançant les débats autour de ses facultés. Il faut s’attendre à ce que ces discussions repartent de plus belle. En effet, Robert Hur doit être auditionné le 12 mars par une commission parlementaire.
Alors que le Discours sur l’état de l’Union a ragaillardi les Démocrates, les Républicains s’en servent pour redoubler leurs attaques contre un président qui aurait perdu la boule, insistant sur ses paroles inintelligibles et ses haussements de voix. Le sénateur texan Ted Cruz l’a comparé tout-de-go à un “vieil homme en colère hurlant aux gamins depuis son porche: ‘dégagez de ma pelouse’”.
Le jour même du discours, un groupe d’action politique proche de Donald Trump a démarré la diffusion d’un spot télévisé dans lequel il soulève une question: “si Joe Biden gagne l’élection, peut-il survivre jusqu’à 2029 ?”. Le ton est donné.
Il y a un an…
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Photo prise l’an dernier à Bonjour Books, la librairie francophone de Kensington (Maryland).
Merci pour cette analyse éclairante! Deux commentaires: je m’interroge sur l’efficacité du choix du thème central de la campagne Biden, la défense de la démocratie: alors que la majorité des Américains a une expérience concrète de l’état de l’économie (et qu’elle est plutôt sensible aux arguments concernant le pouvoir d’achat, l’inflation…) y a-t-il de bonnes raisons de croire que les électeurs indépendants (de qui dépend, en partie, l’issue de l’élection) sentent la démocratie menacée? Quant aux affaires étrangères, on dit qu’elles ont, en général, peu d’effet sur les élections présidentielles. L’élection 2024 sera-t-elle l’exception? Hâte au caucus de la semaine prochaine!