Là où Biden terrasse Trump
Dans la "course au cash", il n'y a pas photo. Ce que les levées de fonds des deux candidats nous disent de la campagne.
Je ne sais pas quels sont vos plans pour ce samedi 6 avril mais je parie que, comme moi, vous n’avez pas été invité à la grande soirée de fundraising pour la campagne de Donald Trump, en Floride.
C’est dommage car il y aura du beau monde: l’événement est co-organisé par le milliardaire John Paulson, avec l’appui d’autres grandes fortunes conservatrices, comme le financier Robert Mercer, le roi des casinos Steve Wynn et le magnat de l’hôtellerie, Robert Bigelow, ancien soutien de Ron DeSantis, l’adversaire de Trump au début des primaires républicaines. Si le gouverneur ne sera pas de la fête, il y aura d’autres anciens rivaux repentis, comme le sénateur de Caroline du Sud, Tim Scott, qui se verrait bien co-listier de l’ex-président, et l’entrepreneur Vivek Ramaswamy.
Les convives sont priés de donner jusqu’à 814 600 dollars chacun. En échange, les plus généreux pourront s’asseoir à la même table que “le Donald”, stade ultime de l’accès au candidat, se faire prendre une photo avec lui et même repartir avec l’un de ses livres, Our Journey Together ! Si l’on en croit les médias américains, la sauterie pourrait rapporter 43 millions de dollars à l'homme à la casquette rouge - sans doute beaucoup plus que les recettes des “bibles Trump” vendues pour Pâques à 59,99 dollars ou ses nouvelles baskets… Cette coquette somme a enflé au fil de conversations téléphoniques entre milliardaires notamment. “La réponse a été écrasante !”, s’est récemment félicité Paulson auprès du quotidien économique The Financial Times.
À défaut d’y être, on peut au moins en profiter pour faire le point sur la “course au cash” entre le Républicain et Joe Biden. Un marathon ô combien important aux États-Unis, où les campagnes présidentielles, financées essentiellement par des sources privées, coûtent très cher (entre 2 et 3 milliards de dollars) en raison de l’étendue du territoire à couvrir et de la durée du processus. Comme les élections sont devenues plus serrées ces vingt dernières années, les candidats tendent aussi à investir massivement dans des spots télévisés, des pubs sur les réseaux sociaux et d'autres communications pour mobiliser leur électorat. Ce qui requiert de l’argent, beaucoup d’argent. Comment s’en sortent Biden et Trump ? Faisons le point.
Biden en tête
Il est de bon ton de dire que Joe Biden va dans le mur, mais ce n’est pas le cas quand on regarde ses finances. Dans le duel des dollars, il devance largement son rival. Fin février, il disposait d’un butin de guerre de 155 millions de dollars, soit près de quatre fois plus que le Républicain (42 millions).
Après un bon mois de mars, Donald Trump a commencé le mois d’avril avec 93,1 millions de dollars. On ne connaît pas encore les chiffres de la campagne de Biden pour le mois écoulé, mais celle-ci a indiqué au site d’information The Hill qu’elle avait battu son record de “petites” donations (moins de 200 dollars) pour le cinquième mois consécutif. Elle n’a pas révélé de montant, mais si c’est vrai, cela serait un signe d’enthousiasme de la base pour Joe Biden, qui tend à attirer plutôt des contributions supérieures à 200 dollars.
Autre fait notoire du mois de mars: sa campagne a déclaré avoir rassemblé plus de 25 millions de dollars à l’occasion d’une grande soirée de levée de fonds au Madison Square Garden en présence du président, de deux de ses prédécesseurs (Barack Obama et Bill Clinton), sans oublier une belle brochette de stars (Lizzo, Queen Latifah, Stephen Colbert…). Selon les organisateurs, c’est la cagnotte la plus importante recueillie en une soirée par un candidat de toute l’histoire des États-Unis.
Donald Trump s’est promis de faire mieux ce samedi. Ce n’est pas qu’une question d’ego, mais aussi de nécessité. “Trump et le Parti républicain auront énormément d’argent, mais l’élection de novembre sera serrée dans certains États, où elle se jouera à quelques milliers de voix. L’avantage financier de Joe Biden pourrait l’aider à mobiliser des électeurs supplémentaires, ce qui pourrait faire la différence”, raconte Ray La Raja, professeur de sciences politiques à l’Université du Massachusetts-Amherst (UMass) et spécialiste du financement électoral.
Les dépenses judiciaires de Donald Trump: une “zone grise”
L’avance financière de Joe Biden sur Donald Trump n’est pas surprenante pour un président sortant, qui peut lever de l’argent sur une période plus longue. Mais le Républicain a des faiblesses que n’a pas son adversaire. Les “petits” donateurs, qui avaient porté sa campagne en 2016 et 2020, se sont moins mobilisés en 2023 qu’en 2019 malgré ses appels aux dons effrénés au moment de ses inculpations diverses - le résultat probablement de l’inflation et d’une certaine lassitude, d’après le Washington Post.
Autre défi pour Trump: les frais d’avocats exorbitants liés aux poursuites dont il fait l’objet. Pour être clair, sa campagne ne s’en charge pas. C’est un PAC (Political Action Committee), structure qui bénéficie de règles plus souples pour lever et débourser des fonds afin de défendre des causes ou des candidats, qui s’occupe de les payer. Nommé Save America (“Sauvez l’Amérique”), le groupe a ainsi dépensé 5,6 millions de dollars rien qu’en février pour régler ces factures.
Ce type de configuration est une “zone grise” juridique, fait valoir Conor Dowling, professeur de sciences politiques à l’Université de Buffalo (New York). Comme Save America appartient à la catégorie des “Leadership PAC”, créés et contrôlés directement par les candidats (et non un acteur extérieur, indépendant comme un individu ou une entreprise), l’organisation ne peut prendre en charge que les dépenses relatives aux affaires judiciaires liées sa présidence, comme celles de l’attaque du Capitole et la tentative présumée de remise en cause des résultats de la présidentielle en Géorgie. “Trump pourrait avoir des ennuis si on découvre que l’argent du PAC a été utilisé pour des affaires judiciaires portant sur des faits indépendants de son mandat, comme la plainte en diffamation d’E.Jean Carroll ou les fraudes de la Trump Organization, explique-t-il. Encore que… Il pourrait exister des exceptions à cette règle”.
Le plus gros problème, c’est que Save America n’a pas assez d’oseille pour régler les factures d’avocats et les autres dépenses liées aux poursuites. En février, il a reçu quatre millions de dollars mais en a dépensé plus de sept. C’est pourquoi il a été décidé de lui donner un petit coup de pouce.
Après avoir accru en février ou mars la part des donations en ligne versées au PAC, comme l’a révélé le New York Times en fouillant dans les archives Internet, il a été décidé que l’argent récolté pendant la grande soirée du 6 avril serait dirigé en priorité vers la campagne de Donald Trump et Save America. Au-delà d’un certain seuil, les fonds iront dans les coffres du Parti républicain national et ses antennes dans les États pour aider notamment les candidats au Congrès qui se présentent aussi en novembre.
Ce montage laisse penser que l’ancien président veut utiliser ses riches amis pour payer ses avocats plutôt que d’épauler les candidats au Sénat, à la Chambre des Représentants et à d’autres postes. Cela pourrait rebuter certains riches donateurs républicains qui préféreraient voir leurs deniers utilisés pour faire gagner la droite à tous les échelons du pouvoir plutôt que de régler les factures de l'ex-homme d’affaires.
Pour Conor Dowling, cette relégation du Parti républicain illustre la mainmise que Donald Trump exerce sur les instances nationales de la formation politique, où il a placé sa belle-fille, Lara, au poste de co-présidente en mars. “Il y a toujours des tensions entre les candidats à la présidentielle et leur parti au sujet de l’allocation des fonds levés, mais dans ce cas-ci, le degré de contrôle de Donald Trump sur la structure du parti est inhabituel”.
L’argent ne fait pas l’élection
Pour l’expert, le retard financier de Donald Trump ne présage pas nécessairement d’une défaite en novembre. En effet, il pense que l’écart se resserrera à l’approche du scrutin. Il ne faut pas non plus oublier que l’ex-vedette de télé est le maître du “free media”: controversé, il n’a pas besoin de se payer des spots publicitaires pour être visible et attirer l’attention. Il lui suffit d’ouvrir la bouche pour que les journalistes débarquent.
Enfin, avoir de l’argent ne signifie pas qu’on va bien le gérer. “En 2016, Hillary Clinton avait plus de moyens financiers que lui, mais il l’a battue car elle n’avait pas assez investi dans des États clés comme le Michigan, le Wisconsin ou la Pennsylvanie, rappelle Conor Dowling. Tout est question de stratégie”.
Une chose est sûre: on se dirige vers le scrutin présidentiel le plus cher de l’histoire. En janvier, les dépenses des seuls PACs et d'autres types de groupes extérieurs (318 millions de dollars) avaient déjà dépassé les seuils de 2016, l’année du précédent record, au même stade du cycle électoral.
En 2020, le total des dépenses de campagne issues de candidats, partis, PACs en tout genre avait aussi marqué un record. Cette année-là, les élections législatives, sénatoriales et présidentielle avaient coûté plus de 15 milliards de dollars, d’après le site OpenSecrets. Comme ces dépenses électorales sont assimilées à une forme de liberté d’expression, garantie par la Constitution, elles ne sont pas plafonnées aux États-Unis. “Les Américains se sont habitués à avoir des élections très coûteuses, constate Conor Dowling. C’est devenu la norme”.
À écouter…
J’ai enfin terminé “Shame on you”, l’excellent podcast de mes consoeurs de télévision et amies Marine Pradel et Anne-Cécile Genre. En 2011, elles couvraient, comme moi, la folle “affaire DSK” à New York. Grâce à des interviews d’acteurs de l’époque et leur propre auto-critique, elles livrent dans ce podcast un regard éclairant et important sur le traitement médiatique de cette histoire de violence sexuelle qui a préfiguré l’ère #MeToo. À retrouver sur Apple Podcasts.
Le teaser:
Excellente analyse Alexis ! J’avais oublié cet aspect super important de l’élection, merci d’avoir rafraîchi ma mémoire :-)