Le Wisconsin, faiseur de fromages et de présidents
Gros plan sur l'État-clé où s'ouvrira la convention républicaine ce lundi.
Une semaine difficile - une de plus - s’achève pour Joe Biden. Vendredi soir, le président était dans le Michigan pour un meeting, mais plusieurs dirigeants locaux, comme la gouverneure Gretchen Whitmer, avaient piscine et ont choisi de ne pas venir. Les appels au désistement ont continué à se multiplier au sein de son camp. Après sa conférence de presse de jeudi soir en clôture du sommet de l’OTAN, au moins une dizaine de parlementaires ont rejoint le groupe d’élus qui demandent publiquement le retrait de sa candidature. Ils sont désormais une vingtaine. Ce week-end, le président dans la tourmente doit poursuivre ses discussions avec différents groupes démocrates au Congrès pour tenter de contenir la saignée.
Bonne nouvelle pour le locataire de la Maison-Blanche: le centre de gravité politique va se déplacer la semaine prochaine de Washington à Milwaukee, la ville des brasseries et du fabricant de motos Harley Davidson sur les rives du Lac Michigan. Du lundi 15 au jeudi 18 juillet, elle accueillera la convention nationale républicaine, la grand-messe au cours de laquelle Donald Trump sera formellement investi candidat de son parti à la Maison-Blanche par les plus de 2 000 délégués présents.
Avant de prendre l’avion ce dimanche pour couvrir le rassemblement, il me paraissait intéressant de faire un gros plan sur l’État où se situe cette ville, le Wisconsin, qui sera au centre de toutes les convoitises en novembre - et pas en raison de ses fromages et autres produits laitiers. En effet, le “Badger State” est l’un des six “Swing States” (États-pivots") du scrutin, susceptibles de basculer dans un camp comme dans l’autre du fait de leur démographie.
Il y a quatre ans, le résultat était extrêmement serré. Joe Biden s’était imposé d’une courte tête (un peu plus de 20 000 voix sur 3,5 millions d’électeurs) face à Donald Trump, remportant les dix “grands électeurs” rattachés à l’État. Avec la Pennsylvanie et le Michigan, le Wisconsin fait partie des territoires du “Mur bleu” (couleur des Démocrates) que Joe Biden doit impérativement conserver cette année s’il veut rester à la Maison-Blanche.
Ce week-end, quittons donc Washington et ses intrigues, et intéressons-nous à ce qu’il se passe sur place avec Kathleen Dolan, professeure de sciences politiques à l’Université du Wisconsin-Milwaukee.
Le Caucus: Merci pour votre temps. J’imagine que vous êtes très sollicitée ces jours-ci !
Kathleen Dolan: On s’intéresse à ce que j’ai à dire tous les quatre ans !
Milwaukee est une ville très démocrate. Ce n’est pas trop difficile à vivre d’accueillir une convention républicaine ?
Les Démocrates ont recouvert les abribus de pancartes pro-Biden qui se moquent de Donald Trump. En conduisant hier, j’ai aussi vu beaucoup de panneaux publicitaires politiques le long des autoroutes. Il n’y en a pas d’habitude. On sent aussi un certain mécontentement au sein de la population car il semblerait que l’impact économique de la convention soit plus faible que ce qu’on anticipait. On nous promettait de merveilleuses opportunités pour la ville avec la venue de plus de 50 000 personnes. Le problème, c’est qu’elles vont rester dans la “zone dure” de sécurité autour du Fiserv Forum, le site de la convention. Elles vont séjourner dans deux-trois endroits étroitement contrôlés.
Traditionnellement, les conventions ne s’adressent pas vraiment à la population locale. Ce sont surtout des événements cathodiques destinés à toucher l’ensemble du pays. Pour nous, cela va surtout être synonyme de problèmes de circulation. En plus, la zone réservée aux manifestants sera plus éloignée que prévu du site de la convention. Les participants seront dans une bulle.
Donald Trump aurait qualifié Milwaukee de “ville horrible”. J’imagine que ça n’aide pas…
Les habitants n’étaient pas contents de l’apprendre. Il a essayé de se rattraper en disant qu’il faisait référence à la criminalité, mais il a creusé son trou. Milwaukee est une ville où les minorités sont majoritaires (“majority minority”). Nous avons une importante communauté noire et hispanique. Elles ne sont pas disposées à voter républicain à la base.
Que veut accomplir le Parti républicain en organisant sa convention dans cette ville où il n’est pas le bienvenu ?
Ils font le même calcul que les Démocrates quand ils ont voulu organiser leur convention à Milwaukee en 2020. C’est l’une des villes les plus importantes du Wisconsin, un “Swing State” crucial pour remporter la Maison-Blanche. Cela donne aux Républicains l’opportunité de mobiliser les dirigeants et les électeurs locaux, d’être visibles sur le terrain, de débloquer plus de ressources. Je pense aussi qu’ils voulaient envoyer une pique aux Démocrates, dont la convention a dû être réduite en raison du Covid il y a quatre ans. Ceci dit, il n’existe pas beaucoup de preuves scientifiques démontrant que l’emplacement de la convention fait une différence. Cela peut avoir un effet très marginal, mais cela changera pas le cours de l’élection.
Pourquoi les élections sont-elles aussi serrées dans le Wisconsin ?
L’État dispose de quelques bassins de population, comme Milwaukee dans l’est et Madison, la capitale, et beaucoup de zones rurales. Nous observons ici la même tension politique que dans le reste du pays entre les zones urbaines qui votent à gauche et les territoires ruraux, acquis à la droite. La répartition de la population fait que nos élections se jouent à peu de choses. Nous avons voté deux fois pour Barack Obama, puis Trump (le premier républicain depuis Reagan à s’imposer ici), puis Biden. À chaque fois, il est très difficile de prédire le résultat.
L’identité du vainqueur dépend surtout de la participation le jour de l’élection. En dehors des présidentielles tous les quatre ans, les votants qui prennent part aux scrutins locaux tendent à être plus conservateurs. Mais pour élire le locataire de la Maison-Blanche, les gens qui s’intéressent moins à la politique sortent du bois. En 2020, les Démocrates ont été plus efficaces pour mobiliser ces électeurs dits “à temps partiel”.
Dans le Wisconsin comme ailleurs, on a vu la question de l’avortement mobiliser les Démocrates, avec l’élection l’an dernier d’une juge à la Cour suprême de l’État qui a fait campagne sur ses positions pro-choix. Cette année, la convention républicaine adoptera un programme (platform) revu et corrigé par Donald Trump lui-même, qui abandonne l’idée d’une interdiction nationale de l’avortement et appelle à ce que les États fixent leur propre politique en la matière. Une manoeuvre vue comme une tentative d’apparaitre plus modéré sur cette question. Pensez-vous que cela peut faire une différence dans le Wisconsin ?
C’était une manoeuvre intéressante. En effet, depuis la révocation de l’arrêt Roe v. Wade en 2022, les Républicains ont perdu un grand nombre d’élections partielles et de référendums à cause de leur opposition à l’avortement. Il est clair que le peuple américain est largement pro-choix. Et il l’est même devenu encore plus depuis la révocation de “Roe”. Le Parti républicain est donc de plus en plus en décalage avec l'électeur américain moyen. Donc ce n’est pas surprenant que Donald Trump et les Républicains veuillent diluer cette question de l’IVG au sein de leur programme. S’ils pouvaient, ils n’en parleraient pas ! Les plus conservateurs critiquent ce changement car c’est un combat fondamental pour eux. Certes, ils voteront quand même pour Donald Trump en novembre, mais cela créera des bavardages. Les Républicains essaient de cacher leur position, mais à ce stade, c’est difficile. Les gens qui suivent la politique comprennent bien la différence entre les deux partis sur l’IVG.
Pensez-vous que nous assisterons cette année à la même dynamique qu’en 2020, avec un soutien important pour Trump dans les campagnes du Wisconsin et un vote démocrate fort dans les villes ?
Les coalitions de chaque parti sont assez stables à ce stade. Dans l’idéal, il leur faudrait convaincre les électeurs indécis. Mais leur nombre est faible. Ceux qui le sont encore au vu des deux candidats en lice sont déconnectés de la politique et seront donc très difficile à activer. Il est donc plus facile d’agir sur les coalitions existantes. Les Démocrates abordent ces élections avec un niveau d'enthousiasme inférieur à celui des Républicains. En effet, la condamnation et les ennuis judiciaires de Donald Trump n’ont fait qu’accroitre le soutien de sa base. Alors que les Démocrates se posent, eux, des questions sur l’âge de leur candidat. Les conversations actuelles autour de son possible remplacement, à la suite de son débat catastrophique, ne vont pas arranger les choses, notamment chez les plus jeunes. Il est encore tôt. Il reste quatre mois, mais je pense que la campagne démocrate finira par insister davantage sur “l’apocalypse” que représenterait un second mandat de Donald Trump, plus que sur le bilan de Joe Biden. Malheureusement, l’élection sera basée sur la peur. C’est le meilleur moyen pour remédier à ce manque d’enthousiasme.
Côté républicain, il n’est pas impossible que les remises en cause répétées du vote par correspondance de la part de Donald Trump finissent par leur faire du mal par endroits. En effet, ceux qui recourent le plus à ce mode de scrutin sont les électeurs âgés, pauvres qui vivent en milieu rural. Or, aux États-Unis, ils votent pour les Républicains.
L’importante communauté noire de Milwaukee (près de 40% de la population) est déterminante pour l’issue du scrutin. En 2016, les observateurs ont imputé la défaite de Hillary Clinton dans le Wisconsin à l’abstention au sein de cette communauté. Allons-nous assister à la même chose cette année ?
Il est vrai que le manque d’enthousiasme de la communauté noire a joué un rôle. Il y a eu un recul clair de participation par rapport aux élections de Barack Obama en 2008 et 2012. Mais il est difficile de dire si la baisse de 2016 est juste un retour à la normale, compte-tenu du fait qu’il n’y avait pas de candidat noir en lice cette année-là. Hillary Clinton a été clouée au pilori en 2016 car elle ne s’était pas rendue dans le Wisconsin pendant sa campagne, ce qui l’aurait fait perdre. Mais je pense que d’autres facteurs étaient en jeu.
Il n’empêche que les Démocrates auront à coeur d’envoyer leur vice-présidente Kamala Harris pour mobiliser l’électorat noir. Elle est déjà venue plusieurs fois dans le Wisconsin au cours des derniers mois. La députée de Milwaukee à la Chambre des Représentants est une Afro-américaine. Elle sera certainement présente sur le terrain, de même que notre maire et le responsable du comté, qui sont également noirs. Ils vont devoir travailler dur cette année car l’enthousiasme n’est pas aussi fort qu’il y a quatre ans.
Merci. Bon courage pour cette convention !
Merci. Je vais quitter la ville pendant cette période…
Avant de se quitter…
Les Républicains n’ont qu’à bien se tenir. Avec des festivités étalées sur trois jours et 250 000 visiteurs chaque année, le 14 juillet ou “Bastille Day” de Milwaukee ne fait pas dans la demi-mesure. Il serait même “l’un des plus grands événements de thème français du pays”. J’essayerai d’y faire un tour ! À l’instar de nombreuses villes américaines, “MKE” a un passé français. Le premier Européen à y avoir mis les pieds fut l’explorateur Jacques Marquette en 1674. Plusieurs lieux portent son nom, dont le parc Pere Marquette.