L'école militaire qui forma Trump
Avant le défilé de samedi à Washington, gros plan ce qu'il a appris à la New York Military Academy dans les années 1960.
Que les tanks roulent ! Je suis bien arrivé à Washington DC pour suivre, ce samedi 14 juin, le grand défilé militaire voulu par Donald Trump, mais aussi les manifestations organisées dans le cadre de l’opération “No Kings” (“Pas de roi”) en opposition à ce que les organisateurs appellent son “autoritarisme”.
Au moment où la manière dont le “commander in chief” utilise et parle de l’armée suscite des inquiétudes, j’ai voulu m’intéresser à un chapitre peu connu de sa vie: sa scolarité dans une école militaire de New York, la New York Military Academy, pour essayer de comprendre d’où venait son attrait pour les tanks, les hommes armés et les uniformes. Bonne lecture !
Sandy McIntosh s’en souvient comme si c’était hier: “Donald adorait porter l’uniforme”. Dans les années 1960, cet Américain originaire de Long Island était scolarisé à la New York Military Academy (NYMA), une école militaire privée au nord de New York, en compagnie d’un certain futur président des États-Unis. L’institution, l’une des plus vieilles de ce genre dans le pays, était fréquentée par des garçons d’horizons divers. Certains provenaient de familles militaires ou de foyers brisés. D’autres étaient “des fils de mafieux, de généraux et dictateurs latino-américains” ou simplement des gamins turbulents à remettre dans le droit chemin.
Donald Trump, 13 ans à son inscription en 1959, était dans cette dernière catégorie. Son père, Fred, en avait marre de son comportement rebelle et voulait lui apprendre la discipline. Le jeune homme en est reparti quatre ans plus tard avec un goût prononcé pour l’apparat militaire. “En dernière année, à la surprise générale, il a été nommé capitaine de compagnie au sein de l’établissement, ce qui signifie qu’il était responsable d’une cinquantaine de jeunes. Il aimait la tenue, les bandeaux, les cordes, l’épée qui allaient avec. L’uniforme était son identité”, poursuit Sandy McIntosh, un écrivain dont le dernier livre, Escape from the Fat Farm, évoque le temps qu’il a passé avec le milliardaire au sein de cette école.
“Une histoire d’égo”
Soixante ans plus tard, ce dernier ne semble pas avoir perdu son attrait pour le monde de l’armée et son caractère télégénique. Le samedi 7 juin, il prenait la décision exceptionnelle de mobiliser une partie des réservistes de la Garde nationale de Californie ainsi que 700 “Marines”, la force de projection rapide des États-Unis, pour “protéger” la police de l’immigration à Los Angeles face à des manifestations émaillées de violences. Le mardi 10, il prononçait un discours aux allures de meeting de campagne à Fort Bragg, une base en Caroline du Nord, devant des soldats sélectionnés par la Maison-Blanche en fonction de leur apparence et leur orientation politique. Au passage, il écornait la tradition d’indépendance et de neutralité de la “Grande muette” vis-à-vis du pouvoir.
Et samedi 14 juin, il organise à Washington un grand défilé pour fêter le 250ème anniversaire de l’armée, l’adoption de la bannière étoilée comme drapeau officiel (“Flag Day”)… et ses 79 printemps. L’événement, le premier de ce type dans la capitale depuis la parade qui marqua le retour des troupes américaines à la fin de la Guerre du Golfe en 1991, lui a valu d’être accusé d’exploiter l’armée pour s’offrir un beau cadeau d’anniversaire (au coût compris entre 25 à 45 millions de dollars) et renforcer son image d’homme fort et autoritaire, à la Poutine ou Kim Jong Un, dont les pays organisent aussi de telles cérémonies fastueuses à la gloire de leurs armées. À en croire le Républicain, il a plutôt été inspiré par le 14-Juillet français, auquel il a assisté à l’invitation d’Emmanuel Macron en 2017…
Sandy McIntosh y voit surtout la conséquence d’un autre défilé qui a marqué Donald Trump. En 1963, il s’est arrangé pour se retrouver à la tête d’un groupe d’élèves de la New York Military Academy qui devaient marcher au milieu de la Cinquième Avenue de Manhattan, où il ouvrira sa Trump Tower vingt ans plus tard, dans le cadre de la grande parade de Columbus Day, qui marque l’arrivée de Christophe Colomb aux Amériques. “C’était son heure de gloire. Il veut simplement le reproduire aujourd’hui en tant que président, analyse l’écrivain. Tout ceci n’est qu'une histoire d’égo”.
L’école de la discipline
La scolarité de Donald Trump à la NYMA fut certainement son premier contact prolongé avec cet univers. Comme les 90 autres cadets de sa promotion, il y a appris la discipline sous la houlette d’un ancien combattant de la Seconde guerre mondiale nommé Theodore Dobias et de ses camarades des classes supérieures, responsables de la supervision des plus jeunes dans ce système très hiérarchique.
Ils dormaient dans une caserne, commençaient leur journée à 6 heures du matin, assistaient en uniforme et en rang d'oignons au lever du drapeau trente minutes plus tard, prenaient leur petit-déjeuner et se douchaient tous ensemble avant d’aller en cours et de participer à des entraînements militaires et des activités sportives obligatoires après 15 heures. Les jeunes devaient aussi plier leur linge et faire leur lit en suivant des techniques précises. Sinon, il fallait tout refaire.
La menace de la sanction était permanente. “On était punis si on ne criait pas assez fort pour encourager nos camarades pendant les compétitions sportives ou si l’on ne se plaquait pas contre les murs sur le passage de nos supérieurs”.
Dans cet environnement spartiate, où le bizutage, les intimidations et la violence physique étaient monnaie courante, Donald Trump a du mal au début, lui qui était habitué au confort de sa riche famille dans le Queens. Theodore Dobias, qui distribuait les baffes en cas de non-respect des règles, le malmène. Mais il prend ses marques. À défaut de briller par ses résultats scolaires (lors de sa première campagne, il a menacé de poursuivre l’école si elle révélait ses bulletins), l’ado de grande taille s’illustre dans les sports: le foot, le football américain et surtout le baseball. Ce qui lui confère un certain statut sur le campus. Il se distingue aussi pour sa capacité à plier son linge et faire son lit dans les règles de l’art. Ses camarades le surnomment “Monsieur Méticuleux”.
Sergent Trump
Il est soigné, mais cogneur aussi. Nommé sergent de réserve (responsable des stocks d’équipements, comme les fusils rendus inoffensifs utilisés par les élèves), il s’inspire des techniques brutales de Dobias, frappant ses camarades avec un balai quand ils ne forment pas un rang parfait. Il en vient même aux mains avec un pauvre garçon qui avait osé lui lancer une botte à la suite d’une altercation au sujet d’un lit mal fait. Trump aurait voulu le jeter par la fenêtre, mais il en a été empêché.
Sandy McIntosh se souvient, lui, d’un jeune homme qui “n’aimait pas passer beaucoup de temps avec les autres”. “Il était sur notre dos pour que nos chaussures brillent et que nos lits soient parfaits, mais c’est tout ce qui l’intéressait”.
L’auteur estime que la NYMA ne l’a pas beaucoup changé: “petit dur” en y entrant en 1959, Donald Trump l’était toujours à sa sortie en 1964. Mais quand Sandy McIntosh entend son ancien camarade tenir des propos sexistes ou racistes aujourd’hui, cette période de sa vie refait surface. “Parler de la sorte était la culture en école militaire”, dit-il. Autre continuité: sa propension à ré-écrire la réalité. “Un jour, il a marqué un point au baseball en profitant d’une erreur de l’équipe adverse. Il m’a fait dire que c’est parce qu’il avait frappé la balle d’une manière extraordinaire !”.
Sa scolarité lui a-t-elle donné le goût de l’armée ? Donald Trump a affirmé, en tout cas, qu’elle avait été un bon substitut. Dans la biographie Never Enough: Donald Trump and the Pursuit of Success, il a raconté à l’auteur Michael D’Antonio avoir reçu “plus de formation sur le plan militaire que beaucoup des gars qui ont servi dans les armées” grâce à la New York Military Academy.
Pour Sandy McIntosh, il a surtout utilisé son temps à la NYMA pour “se bâtir une image, une réputation”. En effet, le jeune Donald lui paraissait plus intéressé par les apparences que de travailler dur. “Quand il était capitaine, il aimait l’uniforme, mais pas les responsabilités qui venaient avec. Le soir, il montait dans sa chambre et laissait les personnes sous ses ordres gérer la discipline”, dit-il. Il se souvient aussi que “Donald” aimait s’afficher aux bras de jolies filles qui venaient le voir le week-end “pour nous montrer qu’il était un séducteur”.
L’homme d’affaires devenu président a montré par la suite qu’il aimait l’armée quand cela l’arrangeait. En plus d’avoir évité d’être envoyé au Vietnam grâce à un diagnostic d’excroissance osseuse tombé au bon moment, il a tenu des propos désobligeants envers certains militaires, comme l’ancien sénateur John McCain, torturé dans une prison vietnamienne. “Il n’est pas un héros de guerre, a affirmé Donald Trump en 2015. J’aime les gens qui n’ont pas été capturés”.
Sa philosophie de l’intervention militaire interpelle aussi. En 2020, il avait menacé d’envoyer les militaires contre ses concitoyens pour contenir les manifestations anti-racistes qui ont balayé le pays à la suite de la mort de l’Afro-Américain George Floyd. Son ancien ministre de la Défense, Mark Esper, a écrit dans ses mémoires sorties deux ans plus tard que le “commander in chief” avait demandé au chef d'état-major des armées, Mark Milley, s’il était possible de “tirer dans les jambes (des manifestants, ndr) ou quelque chose comme ça”.
À l’époque, le milliardaire était entouré de personnalités qui s’opposaient à ses projets les plus fous. Plus maintenant, comme le montre sa prise de contrôle de la Garde nationale californienne, qui dépend traditionnellement du gouverneur. La mesure est contestée devant les tribunaux par le gouverneur Gavin Newsom et le procureur général de Californie. “Historiquement, les présidents ont déployé les militaires sur le sol américain en dernier ressort car c’est une force extrêmement létale, qui ne connait pas les dynamiques au sein des communautés dans lesquelles elle est appelée à intervenir, ainsi que les techniques de désescalade pratiquées par la police locale. Mais Donald Trump ne semble pas l’entendre de la même oreille que ses prédécesseurs”, explique Carrie Lee, attachée de recherche au think tank German Marshall Fund of the United States et professeure invitée à l’Université de Pennsylvanie.
Quant au défilé, elle regrette que le président ait brouillé les lignes entre hommage à l’armée, spectacle et promotion personnelle. “Il ne respecte pas la profession de militaire, qui repose sur la confiance que lui accorde la société et la neutralité politique”.