L'ennemi de tous les présidents américains
Donald Trump n'échappera pas à la règle.
Certes, Donald Trump est un politicien hors norme auquel les règles de la politique ne semblent guère s’appliquer. Mais il y a une réalité à laquelle il ne peut échapper: le temps. Je ne veux pas parler de vieillissement - les présidents tendent à vivre plus longtemps que la moyenne de leurs concitoyens - mais d’horloge politique. C’est l’objet du Caucus de la semaine.
Pourquoi le temps presse
Si les locataires de la Maison-Blanche sont élus pour quatre ans, ils ont, en réalité, beaucoup moins de temps pour faire passer les grandes réformes qu’ils souhaitent. Inspirés par Franklin D. Roosevelt, contraint par la crise économique de faire adopter des mesures législatives fortes rapidement, ils essayent de mettre en œuvre leur agenda législatif dans les cent premiers jours de leur mandat - un délai purement symbolique et artificiel - pour profiter de l’élan de leur victoire.
L’historien Max Paul Friedman, professeur à l’American University (AU) à Washington, voit un peu plus large: “un nouveau chef de l’État n’a qu’une année pour mettre en oeuvre ses projets avant que l’opposition ne s’organise et que les membres de son parti commencent à avoir peur de perdre les midterms”, raconte-t-il, en parlant des élections parlementaires de mi-mandat, où un tiers du Sénat et l’intégralité de la Chambre des Représentants sont renouvelés. (Oui, les députés américains ont un mandat… de deux ans). Les prochaines auront lieu en novembre 2026.
En général, ce grand rendez-vous électoral sourit au parti qui n’occupe pas la Maison-Blanche, en l'occurrence les Démocrates. Une analyse publiée mercredi par Larry Sabato, gourou des statistiques politiques à l’Université de Virginie, montre que sur les treize derniers “midterms” (depuis les années 1970), seuls trois élus sortants issus du parti de l’opposition n’ont pas été reconduits. Ce n’est pas un hasard si Barack Obama a fait adopter sa réforme historique du système de santé en mars 2010, quelques mois avant de se prendre une raclée aux élections de mi-mandat, ou que Donald Trump a fait passer sa loi d’allégement fiscal en 2017, un an avant que la “vague bleue” (la couleur des Démocrates) ne déferle sur la Chambre des Représentants… Ils savaient qu’il serait peut-être trop tard après l’échéance de la mi-mandat.
Il est bien trop tôt pour faire des prédictions pour 2026. Mais avec quatre petits sièges de retard sur les Républicains à la Chambre des Représentants (218 contre 214 aujourd’hui sans prendre en compte les trois postes vacants), l’écart le plus serré depuis des décennies, l’espoir est permis pour le parti de l’éléphant. S’ils parviennent à reprendre la majorité, les Démocrates seront en mesure de mettre en échec les ambitions législatives de Donald Trump pendant la seconde moitié de son mandat et de proposer une opposition plus solide qu’aujourd’hui. Autrement dit, 2025, plus que 2026, est une année capitale pour le Républicain.
Pas de temps à perdre
Cette réalité du tempo politique explique en partie pourquoi Donald Trump multiplie les décrets, des décisions “faciles” dans le sens où elles ne nécessitent pas le feu vert des parlementaires pour entrer en vigueur. Il en a signé quatre-vingt depuis son entrée en fonction le 20 janvier dernier - contre soixante pour Joe Biden dans les cent premiers jours de sa présidence. Il s’en sert pour donner le sentiment de faire feu de tout bois. “Nous avons accompli plus en 43 jours que la plupart des administrations en quatre ans, ou huit ans”, s’est vanté le milliardaire dans son discours de mardi devant le Congrès, tout en se félicitant de son “action rapide et implacable”.
Ce qu’il ne dit pas, c’est que les décrets sont des textes fragiles. Non seulement leur portée est limitée (ils ne sont “que” des directives envoyées à l’appareil fédéral sur la façon dont appliquer les lois), ils peuvent aussi être invalidés d’une simple signature par le prochain président du bord opposé, comme Donald Trump l’a montré lui-même en revenant sur certaines actions du gouvernement Biden (Accord de Paris sur le climat, télé-travail des fonctionnaires…). Autrement dit, ils n’ont pas la solidité des lois, que seul le Congrès a l’autorité d’adopter, modifier ou abroger. Un processus beaucoup plus long et difficile.
“La grande, belle loi” de Trump
Dans le domaine législatif, rien n’est gagné pour le président. Ce n’est pas parce qu’il possède des majorités dans les deux chambres qu’il pourra faire adopter les lois qu’il veut. Car le Parti républicain a des sensibilités diverses (même s’il est globalement plus trumpiste qu’en 2017). Le site d’analyse politique FiveThirtyEight dénombre pas moins de cinq familles au sein de la droite à la Chambre des Représentants ! Il y a des élus plus ou moins conservateurs, dépensiers, isolationnistes, extrêmes, institutionnalistes en fonction de la composition de leur circonscription, des intérêts qu’ils défendent et de leur philosophie personnelle. Le problème de Donald Trump: avec une majorité aussi étriquée, il ne peut pas se permettre un grand nombre de défections dans son camp. Sinon, il aura besoin des voix des députés démocrates pour remplir ses objectifs. Ce que le leadership républicain veut éviter à tout prix.
Le premier grand test interviendra dès la fin de la semaine prochaine. Le Congrès doit reconduire les crédits budgétaires qui expirent le vendredi 14 mars afin d’éviter une fermeture partielle (“shutdown”) des services publics fédéraux. Cela serait un boulet politique pour Donald Trump. Problème: des désaccords persistent dans les rangs du “GOP” (“Grand Old Party”) entre ceux qui militent pour un maintien des dépenses à leur niveau actuel, comme le “speaker” Mike Johnson, et ceux qui veulent en profiter pour les réduire drastiquement et acter les coupes à la tronçonneuse de DOGE, le comité d’Elon Musk chargé de tailler le budget fédéral. Ces derniers, reçus pour certains mercredi dernier à la Maison-Blanche, appartiennent au “Freedom Caucus”, un groupe d’une trentaine de députés, comme Chip Roy (Texas) et Marjorie Taylor Greene (Géorgie), qui communient autour d’un même conservatisme fiscal et social (réduction des dépenses sociales, révocation d’“Obamacare”, fin du financement public des centres de planning familial…).
Une autre épreuve majeure arrivera rapidement: il s’agit de la “grande, belle loi” (“big, beautiful bill”) que Donald Trump appelle de ses vœux. Censé être le texte-phare de son début de mandat, il pérenniserait notamment les réductions d’impôts adoptées en 2017 et prévoirait des dispositions sur la production énergétique et l’immigration. Là encore, les Républicains ne sont pas tous sur la même longueur d’onde. Au Sénat, ils voulaient passer plusieurs textes au lieu d’un, comme le souhaitait la Chambre des Représentants, mais se sont ravisés. Ils ne sont pas d’accord non plus sur le contenu du document final. En effet, une feuille de route adoptée récemment enjoint à la commission parlementaire chargée de la supervision du système de santé de trouver 880 milliards d’économies sur dix ans pour financer les allègements fiscaux.
Or, les experts s’accordent sur le fait qu’une telle coupe ne serait pas possible sans toucher aux financements de programmes d’assurance publique pour les plus vulnérables, comme Medicare, Medicaid ou le Children’s Health Insurance Program (CHIP) pour les enfants. C’est contre cette manœuvre que le député du Texas, Al Green, s’est insurgé en brandissant sa canne face à Donald Trump lors de son discours devant le Congrès, mardi.
D’après le think tank Center for American Progress (CAP), les circonscriptions de députés républicains perdraient gros en cas de réduction des fonds car nombre de leurs électeurs dépendent de ces programmes. “Les coupes dans le financement fédéral de Medicaid auraient des conséquences importantes: les États seront contraints soit d’augmenter les impôts, soit de réduire l’éligibilité au programme, de limiter les prestations couvertes ou de réduire les taux de remboursement des prestataires”, écrit CAP. Un scénario que la vingtaine d’élus républicains qui représentent des circonscriptions-bascules (qui oscillent entre gauche et droite) redoutent plus que tout avant les “midterms”.
Tout le défi de Donald Trump et du “speaker” Mike Johnson sera donc de trouver un compromis entre ces modérés et les partisans d’une ligne plus dure, prêts à tout pour réduire l’empreinte de l’État fédéral. C’est le cas du député du Texas, Chip Roy, l’un des rares républicains à avoir osé croiser le fer avec l’homme de Mar-a-Lago à plusieurs reprises (sur la remise en cause des résultats de la présidentielle de 2020, l’attaque du Capitole, la hausse du plafond de la dette…). Considéré comme une “menace” dans les cercles trumpistes, il faudra le surveiller pendant les débats.
Les “midterms” qui approchent à grands pas ne sont pas la seule raison pour laquelle Donald Trump doit s’inquiéter du temps qui passe. À quelques rares exceptions près (Ronald Reagan, Bill Clinton, George H.W. Bush), la courbe d’approbation de l’action présidentielle s’érode mois après mois, si l’on en croit cet historique de l’institut Gallup. Or, les parlementaires sont moins enclins à risquer leur siège pour un président impopulaire. Surtout s’il persiste à leur faire avaler des couleuvres, comme Donald Trump le fait avec sa “guerre commerciale” contre le Mexique, le Canada, l’Union européenne et la Chine qui pourrait affecter l’économie de territoires représentés par son parti. Nouveau président le moins aimé depuis la fin de la seconde guerre mondiale, le dirigeant ne part pas de très haut.
Avant de se quitter…
Je viens de découvrir le travail de Maxime Haulbert. Sur son compte Instagram et sa chaîne YouTube “Inspire-moi si tu peux”, ce journaliste français passé par le groupe Canal décortique les rouages médiatiques du populisme dans des vidéos courtes et des entretiens. J’adore son slogan: “Le populisme séduit, la nuance protège”. Nous avons profité de son récent passage à New York pour faire une interview sur la présidentielle de 2024, le métier de correspondant à l’étranger et l’importance de la nuance pour couvrir un pays aussi vaste et complexe que les États-Unis. Merci Maxime !
Super intéressant, merci Alexis!