Moi, "grand électeur" présidentiel
Le Caucus discute avec deux membres du collège électoral, qui se formera mardi 17 décembre pour élire le président avant de disparaître pour quatre ans.
On a fait tout un foin d’“Election Day”, le mardi 5 novembre - et c’est normal. Mais ce n’est pas la seule date qui compte dans l’élection présidentielle. Le mardi 17 décembre est tout aussi important.
C’est le jour où les membres du collège électoral, appelés "grands électeurs", se rassembleront pour élire formellement le nouveau locataire de la Maison-Blanche. Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ? Que mangent-ils au petit-déj ? J’en ai contacté deux, un Républicain et un Démocrate, pour mettre un visage sur ce maillon essentiel du scrutin indirect.
"Je suis à la fois honoré et impressionné". À la tête d’une église pentecôtiste de Cleveland (Ohio), le pasteur afro-américain Darrell Scott fait partie des 538 grands électeurs qui composent le collège électoral, l’organe chargé dans le système politique américain de désigner formellement le locataire de la Maison-Blanche en fonction des résultats du vote populaire dans leurs États respectifs. Pendant la journée, ils se retrouveront donc dans les locaux de leur parlement fédéré pour remplir leur devoir - le seul que leur confère la constitution du pays.
Pour Darrell Scott, un ancien trafiquant de drogue qui s’est tourné vers la religion et le Parti républicain, cela sera une première. "Jeune, j’entendais parler du collège électoral dans les livres. Je n’aurais jamais pensé en faire partie".
Malgré leur importance, un voile de mystère entoure les "electors". Leur nom n'apparaît même pas sur les bulletins de vote de la présidentielle et la constitution ne dit pas grand chose sur qui peut le devenir. Elle se contente d’indiquer qu’ils ne doivent pas être membres du Congrès ou occuper un poste fédéral. Ils ne peuvent pas non plus avoir participé à "une insurrection ou une rébellion contre les États-Unis, ou apporté aide ou réconfort à ses ennemis". Dans ce contexte, ce sont les partis au niveau de chaque État qui les désignent avant la fin de la campagne selon des modalités variées. En général, il s’agit d’individus (élus, leaders, militants…) que les instances dirigeantes et les campagnes veulent récompenser pour leur travail au service d'un candidat et leur loyauté. Pour rappel, leur nombre par État dépend du poids démographique de celui-ci: la Californie en a 54, l’Idaho, 4.
Considéré comme l’un des premiers soutiens de Donald Trump au sein de la communauté noire, le pasteur Scott était un choix évident. En effet, son engagement aux côtés de celui qu’il appelle son “ami” remonte à 2011, année où le milliardaire a flirté avec l’idée de se présenter à la présidentielle. En 2016, Scott s’est exprimé à la tribune de la Convention nationale républicaine (vidéo ci-dessous), au cours de laquelle Trump a été investi candidat, et s’est mobilisé sur le terrain pour encourager les Afro-Américains à voter pour lui, quitte à être taxé de "vendu" au sein de cet électorat très démocrate. “On m’a demandé de faire partie des grands électeurs de l’Ohio car ma loyauté envers Donald Trump n’a jamais faibli, même dans les mauvais moments”, dit-il.
Tous les quatre ans, seuls les "electors" du candidat qui remporte l’État qu’ils représentent sont invités à voter. Ainsi, à New York, où Kamala Harris est arrivée en tête, ce sont les grands électeurs démocrates qui se rendront au parlement fédéré, à Albany, le 17 décembre. Pas les Républicains.
Comme le veut la tradition, ils glisseront un bulletin dans deux urnes distinctes: l’un pour le candidat à la présidentielle qui a remporté le plus de voix dans “l’Empire State" (Kamala Harris, donc), l’autre pour le candidat à la vice-présidence (Tim Walz). Les votes seront ensuite inscrits dans un certificat qui sera envoyé à Washington, où ils seront comptés lors d’une session conjointe du Congrès le 6 janvier 2025 sous la supervision du vice-président - Kamala Harris devra donc annoncer sa propre défaite cette fois-ci. C’est cette étape que des partisans trumpistes ont tenté de bloquer le 6 janvier 2021 en prenant d’assaut le Capitole.
Il n’y aura guère de surprise lors du vote du 17 décembre: au final, Donald Trump aura 312 voix contre 226 pour la Démocrate. En effet, l’écrasante majorité des États (38 sur 50 selon le site Ballotpedia) interdit les "faithless electors", le nom donné à ceux qui seraient tentés de ne pas respecter le résultat de l’élection dans leur État. Les cas de rébellion sont extrêmement rares dans l’histoire du pays.
"Cela sera un moment aigre-doux car je voterai pour Kamala Harris en sachant qu’elle n’a pas été élue présidente", reconnaît Thomas Garry, l’un des vingt-huit grands électeurs de New York.
Démocrate de longue date, impliqué dans toutes les campagnes présidentielles depuis celle d’Obama en 2008, cet avocat francophile du Long Island est presque un habitué de l’exercice. Il faisait déjà partie du contingent de 2020, aux côtés de plusieurs responsables syndicaux, Bill et Hillary Clinton, du gouverneur de l’époque Andrew Cuomo et d’autres élus démocrates locaux notamment.
Malgré les masques et autres restrictions liées au Covid, l’émotion était au rendez-vous. “Mon grand-père est venu d’Irlande illégalement en 1916. On lui a dit qu’on lui donnerait la citoyenneté américaine s’il rejoignait l’armée, ce qu’il a fait pendant la Première guerre mondiale, en se rendant en France, raconte Thomas Garry. Faire partie, deux générations plus tard, du petit groupe de personnes qui désignent le président des États-Unis est un honneur incroyable". Et un motif de frime auprès de ses potes ? "Je reçois beaucoup de compliments, y compris de la part de mes amis républicains !", sourit-il.
Le juriste sait toutefois que l’existence même du collège électoral est contestée. À chaque élection présidentielle, des voix s’élèvent pour demander son abolition au profit d’un scrutin direct, où la Maison-Blanche reviendrait au vainqueur du vote populaire national, pas à celui qui remporte la majorité des grands électeurs. Dans l’histoire de la présidentielle, élection qui se joue État par État, cinq candidats sont devenus présidents en obtenant moins de voix dans l’ensemble du pays que leur adversaire, ce qui fragilise leur légitimité. Le dernier en date fut Donald Trump en 2016.
Par ailleurs, le scrutin indirect comporte des vulnérabilités que des acteurs malveillants ont tenté d’exploiter. À l’issue de la présidentielle de 2020, des "faux grands électeurs" ("fake electors") ont tenté de perturber le processus en votant pour Donald Trump dans des États que le milliardaire n’avaient pas remportés (Géorgie, Michigan…). Leur objectif: faire parvenir un certificat alternatif au Congrès dans l’espoir que leurs voix illégitimes soient comptabilisées et que Joe Biden ne devienne pas président.
Selon un sondage de l’Institut Pew paru en septembre 2024, 63% des adultes américains sont favorables à l’élimination du collège électoral.
Sans surprise, Thomas Garry se situe dans la minorité. “S’en débarrasser ferait beaucoup de mal. Certes, la présidentielle repose actuellement sur sept ‹ swing states ›, ce qui est loin d’être idéal. Mais si l’élection est déterminée par le vote populaire, les campagnes se focaliseront sur les États les plus grands et peuplés, comme New York et la Californie. Les petits seront moins écoutés et perdront leur place dans notre identité nationale”, assure-t-il. C’était aussi l'une des préoccupations des rédacteurs de la constitution.
“Sans ce mode de scrutin, nos élections seraient déterminées par trois États - le Texas, la Californie et New York - en raison de la taille de leur population, acquiesce Darrell Scott. Les Pères fondateurs ont conçu un système ingénieux. Je suis fier d’en faire partie".
Salut Alexis,
Il disparaît pendant 4 ans, mais une nouvelle élection pour savoir qui aura ce privilège commence dès maintenant.
Par exemple, en Californie : https://adem.cadem.org/resources
Tu devrais suivre le parcours semé d'embûches de ces 538 candidats :
- https://patch.com/new-jersey/newarknj/nj-senate-candidate-denied-entry-democratic-convention-video
- https://patch.com/new-york/washington-heights-inwood/alleged-espaillat-voter-suppression-probe-demanded-uptown-pols