Tentative d'assassinat de Trump: la violence politique, cancer américain
Il rejoint la (longue) liste de candidats et présidents victimes d'attaques.
L’image est irréelle. Donald Trump descend de scène le poing levé, le visage ensanglanté, protégé par un bouclier humain d’agents secrets, en lançant “battez-vous” (“fight”) à ses supporteurs.
L’ancien président a été touché par balle à l’oreille, samedi 13 juillet, alors qu’il venait d’entamer un meeting en plein air à Butler (Pennsylvanie). Un porte-parole a indiqué qu’il allait bien - il a quitté la zone dans la soirée. Un membre du public a toutefois trouvé la mort. Au moins deux autres personnes sont dans un état critique. Le tireur présumé a été tué.
Le nom de Donald Trump s’ajoute à la longue liste de candidats ou de présidents américains, démocrates comme républicains, à avoir fait l’objet d’une tentative d’assassinat. Parmi eux: Ronald Reagan, visé à l’extérieur d’un hôtel Hilton de Washington DC en 1981, ou encore Franklin D. Roosevelt, qui a échappé à la mort à Miami en 1933.
L’attaque contre le milliardaire est symptomatique d’une ère de violence politique inquiétante aux États-Unis. Avant même cette tentative de meurtre, les experts alertaient que 2024, année électorale, avait le potentiel d’être explosive. “Cela va être une année très chargée pour nos agents spéciaux”, prévenait en février le chef-adjoint de la Police du Capitole, Ashan Benedict, selon la chaîne NBC Washington.
Dans un rapport, la force de police chargée de la protection des sénateurs, députés et de leurs personnels avait trouvé que le nombre de menaces contre les membres du Congrès avait atteint 8 008 en 2023, soit une augmentation de 7% par rapport à 2022. Il n’y a pas que les parlementaires nationaux qui sont visés. Au niveau local et fédéré (États), 40% des élus ont fait l’objet de menaces ou d’attaques dans les trois années passées, selon les statistiques du Brennan Center for Justice. Un taux qui atteint 18% dans l’année-et-demi écoulée. Le chiffre s’envole à 89% pour les parlementaires fédérés et 52% pour les élus locaux quand sont prises en compte des atteintes moins sévères, comme les insultes ou le harcèlement.
Encore plus inquiétant, une part non-négligeable d’Américains trouvent que le recours à la violence peut être légitime pour remplir certains objectifs politiques. D’après une étude du docteur Garen Wintemute (Université de Californie-Davis) auprès de plus de 8 000 personnes, 32,8% des sondés ont répondu que celle-ci se justifiait “tout le temps” ou “parfois” pour une des dix-sept raisons avancées par le chercheur (“empêcher le vol d’une élection”, “prévenir toute discrimination raciale ou ethnique”, “s’opposer à des Américains qui ne partagent pas mes croyances” ou encore, le plus populaire, “préserver le mode de vie américain dans lequel je crois”…). L’attaque du 6 janvier 2021 contre le Capitole, menée par des partisans trumpistes, montre à quel point cette violence soi-disant justifiée est une réalité.
Mais contrairement à ce que laisse penser cette émeute, ce ne sont pas des groupes extrémistes comme les Proud Boys ou les Oath Keepers qui représentent le plus grand danger pour la classe politique. Comme le remarquait Rachel Kleinfeld dans la revue Journal of Democracy en 2021, la tendance est au “dégroupement de la violence car les gens s’auto-radicalisent à travers leurs interactions en ligne”. “Les idées des suprémacistes blancs, les codes des milices, les théories du complot se répandent via les jeux vidéos, les chaines YouTube, les blogs” et à travers l’humour ou les memes. Le résultat: “une nouvelle réalité où des millions d’Américains sont prêts à mener, soutenir ou excuser des actes de violence politique”.
En effet, plusieurs tentatives d’assassinats récentes ont été commises par des individus qui se sont radicalisés dans leur coin. Ce fut le cas de James Hodgkinson, un homme de 66 ans qui a ouvert le feu en 2018 sur un groupe d’élus républicains qui jouaient au baseball, faisant plusieurs blessés. Ou encore d’Oscar Ramiro Ortega-Hernandez, 21 ans, qui a tiré sur la Maison-Blanche en 2011 car il considérait Barack Obama, le président de l’époque, comme “l’Antéchrist”. Cela semble aussi être le cas du tireur présumé de Butler, décrit par les forces de l’ordre comme un “loup solitaire”.
À l’heure où j’écris ces lignes, on ne connaît pas ses motivations. On sait simplement qu’il est un homme blanc de 20 ans, le profil-type des tueurs de masse. Immédiatement après l’incident, certains Républicains ont cherché à politiser l’affaire, pointant la responsabilité de Joe Biden et d’autres Démocrates qui décrivent Donald Trump comme une menace pour la démocratie. En réalité, les deux camps sont concernés par ce cancer. Parmi celles et ceux qui ont réagi à fusillade, on trouvait de nombreuses victimes, directes ou indirectes, d’actes de violence. Citons notamment le député républicain de Louisiane Steve Scalise, l’ex-députée démocrate Gabby Giffords, l’ancienne “speaker” Nancy Pelosi ou encore le candidat indépendant à la présidentielle, Robert F. Kennedy Jr., neveu de John F. Kennedy.