Un week-end chez les Républicains anti-Trump
Interview de Heath Mayo, le fondateur du sommet Principles First (23-25 février à Washington).
C’est un rituel. En février-mars, j’ai pris l’habitude de me rendre à CPAC (Conservative Political Action Conference), le rassemblement des militants conservateurs américains qui s’est transformé en grand raout à la gloire de Donald Trump. Mais cette année, il me paraissait plus intéressant d’aller au sommet de Principles First (“Les Principes d’abord”), un “contre-CPAC” qui se tient jusqu’au dimanche 25 février dans un hôtel de Washington.
Ce rendez-vous des Républicains et conservateurs anti-Trump existe depuis 2020, mais il est passé relativement inaperçu. Jusqu’à aujourd’hui. Plus de sept cent personnes sont attendues cette année - un record - pour écouter différentes personnalités de droite opposées à l’ex-businessman parler économie, politique et relations internationales. Parmi elles, l’ancien député de l’Illinois, Adam Kinzinger, l’un des deux membres républicains de la commission d’enquête parlementaire sur l’attaque du Capitole; Cassidy Hutchinson, l’ex-assistante du chef de cabinet de Trump, Mark Meadows, qui a témoigné devant la commission; Brad Raffensperger, le responsable des élections en Géorgie qui a tenu bon face aux pressions de l’ancien président pour inverser les résultats de la présidentielle de 2020…
J’ai rencontré Heath Mayo, le fondateur de Principles First, dans un magasin de donuts à Cheyenne (Wyoming) en 2022. Ce Texan trentenaire, avocat, y avait convié des volontaires d’horizons divers (Républicains, Démocrates, Indépendants…) pour faire du porte-à-porte afin de faire ré-élire la députée Liz Cheney, bête noire de Donald Trump. Elle a finalement été battue par une ancienne collaboratrice qui a épousé la thèse maintes fois réfutée du vol de l’élection de 2020 par les Démocrates. J’ai décidé de le recontacter pour parler du sommet et du rôle des Républicains centristes en 2024.
Le Caucus: On dirait que je ne serai pas le seul à venir au sommet pour la première fois cette année ! Pourquoi ce regain d’intérêt ?
Heath Mayo: J’espère qu’il y aura assez de place (rires) ! Sept-cents personnes, c’est le double du nombre que nous accueillons d’habitude. Je n’explique pas cet intérêt accru, si ce n’est que nous nous efforçons d’organiser des discussions de qualité autour de sujets sérieux en prenant les participants pour des adultes, pas pour de simples spectateurs qui veulent se divertir. Car la politique ne devrait pas être un spectacle. Cette année, nous allons notamment parler économie et maîtrise de notre dette. Terry Virts, ancien commandant de la Station Spatiale Internationale (ISS), abordera l'Ukraine et la question du leadership de l'Amérique dans le monde… Même si le public a grandi, notre organisation est toujours composée de bénévoles qui doivent être débrouillards. On a des financements supplémentaires depuis l’an dernier, mais ce n’est toujours pas une activité à plein temps pour moi.
Vous avez grandi dans l’est du Texas. Pour être parti en reportage là-bas, je sais que c’est un endroit très conservateur. Pourquoi avoir divorcé du Parti républicain ?
Ma mère était enseignante dans une école publique et mon père avocat dans une petite ville très soudée, à la “Friday Night Lights”, la série sur l’équipe de football d’une commune texane. On allait à l’église tous les dimanches et mercredis soirs. Cette vie m’a inculqué des valeurs: faire ce qui est juste, toujours dire la vérité, traiter son prochain comme on se traite soi-même… J'ai fait campagne pour Mitt Romney en 2012 et Marco Rubio en 2016. Je me considérais comme fermement ancré dans le Parti républicain, mais avec la candidature de Donald Trump, j’ai commencé à constater un changement de vision par rapport à certains principes fondamentaux. Depuis, le problème n'a fait que s'exacerber. Aujourd'hui, il est frappant de voir des membres du parti applaudir Tucker Carlson (l’ex-animateur star de Fox News, ndr) faire l’éloge de Vladimir Poutine alors que celui-ci vient tout juste de faire assassiner son rival Alexeï Navalny en prison ! Le Parti républicain préfère penser que les États-Unis posent problème, pas la Russie. Il est en train d’abandonner le principe de l'exceptionnalisme américain dans lequel il a toujours cru… Je suis désillusionné, mais je me sens tout de même conservateur dans l’esprit. Encore plus qu’avant car il faut préserver ce qui est attaqué.
Votre famille vote Trump, je crois…
Mon beau-père votera pour Donald Trump. Les conversations de Noël et de Thanksgiving sont toujours très intéressantes ! D’ailleurs, il sera au sommet avec ma mère ! Pour ma part, comme beaucoup d’Américains, je ne me reconnais dans aucun parti. L’affiliation partisane est au plus bas dans le pays car les formations politiques ont perdu le contact avec les idées qui faisaient leur identité. Certaines personnes ne savent pas vraiment pour quoi voter. Certes, je suis désillusionné par le Parti républicain, mais aussi par notre vie politique. Le pays semble plus intéressé par les querelles que de résoudre les grands défis auxquels nous sommes confrontés.
Les « Jamais Trump » (« Never Trumpers ») que vous représentez ne pèsent pas lourd au sein du Grand Old Party (GOP) - un quart de l’électorat. Comment comptez-vous faire la différence en 2024 ?
Tout d’abord, nous pensons qu'il est important de réunir dans une salle les gens qui pensent pareil pour montrer qu'il existe un soutien populaire pour nos idées et que le trumpisme n'a pas l'emprise qu’on pense sur notre vie politique. Il est vrai que nous ne sommes pas une force de traction au sein du Parti républicain actuel. Des candidats soutenus par Principles First ne gagneraient probablement pas une primaire, mais je pense que nous représentons une part croissante de l'électorat républicain et que le segment MAGA (Make America Great Again) de Donald Trump se rétrécit. J’en veux pour preuve la fréquentation en hausse de notre sommet, mais aussi la performance actuelle de Nikki Haley. Elle ne va certainement pas gagner les primaires, mais elle attire entre 35 et 45 % des électeurs républicains. C'est significatif lorsque vous pensez à l’élection générale de novembre 2024. En effet, si autour de 40% de l’électorat d’un parti dit qu’il n’aime pas son candidat, qu’il est prêt à faire activement campagne contre lui ou à voter pour un tiers, c’est l’échec assuré pour lui. Il nous faut des dirigeants fédérateurs qui mettent les principes d’abord. Trump semble incapable de le faire.
On dirait que vous enterrez déjà Trump…
Nous plantons les graines d’un mouvement. Certes, nous ne sommes pas encore arrivés à maturité, mais je suis impatient de le voir se développer. Si Trump perd de nouveau la présidentielle, ce qui se produira selon moi même si ce scrutin sera très disputé, un débat sur les principes du Parti républicain s’engagera: restera-t-il dans l’ornière du trumpisme ou prendra-t-il une direction complètement différente ? Mon espoir est qu’un contingent important se constituera et s'organisera pour dire qu’il nous faut prendre une nouvelle orientation.
Il y a encore deux ans, Donald Trump était vu comme un boulet pour son parti. Aujourd’hui, il est quasiment assuré de porter les couleurs du GOP en novembre. Qu’est-ce qui vous rend optimiste sur la capacité du parti à changer ?
Nous ne sommes pas dans une situation très différente de celle dans laquelle nous étions il y a quelques années. Trump a un pouvoir d’attraction énorme du fait de sa personnalité forte et de son charisme. Mais il n’a pas plus de soutien aujourd’hui qu’il n’en avait il y a deux ans. Tout le monde le connaît ! Depuis sa présidence, il n’a cessé de perdre des partisans. La question, c’est: “est-ce que Joe Biden en perdra plus que lui ?”…
Je sais que le point suivant provoque des débats, mais pour moi, le jour où Trump sera parti, le mouvement MAGA, qui s’est construit autour de lui, s’affaiblira. Même ses enfants, Marjorie Taylor Greene (députée de Géorgie, ndr) ou d’autres successeurs potentiels n’ont pas la force qu’il a. Sans soleil, le système solaire ne peut fonctionner. Si l’on regarde l’histoire des États-Unis, les mouvements qui se sont ancrés dans le temps s’organisent autour de principes fondamentaux, capables de fédérer des coalitions politiques solides et de remporter des élections. Je pense notamment au progressisme du New Deal de Franklin Delano Roosevelt, qui a marqué le XXe siècle, ou encore au conservatisme hérité de l’ère Buckley-Reagan, qui a prévalu pendant trois décennies. Les Américains votent tous les deux ans pour les parlementaires et quatre pour les présidents. Aux États-Unis, il faut être en mesure de remporter plusieurs élections à la suite pour mettre en œuvre des changements de long-terme. Or, je pense que MAGA est un feu de paille qui a brûlé très intensément en 2016 et dont nous subissons les conséquences aujourd’hui.
Vous avez voté Biden en 2020. Le re-ferez-vous si on assiste à un nouveau duel entre lui et Trump en novembre ?
Si c’était la même affiche, je voterais de nouveau pour Biden parce que je sais qu'il ne lancera pas une tentative de coup d’État contre le siège du Congrès. Même si j’ai des désaccords avec lui, le respect de la démocratie est primordial pour moi. D’autres Républicains feront la même chose ou voteront pour un candidat-tiers. Au final, ils bouderont Donald Trump. Or, ce dernier ne pourra pas gagner la Maison-Blanche en se passant de 30% de l’électorat de droite.
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La Maison-Blanche brillait de mille feux vendredi soir ! Bonne soirée ou journée en fonction de votre fuseau horaire !