Bienvenue à celles et ceux qui ont rejoint Le Caucus depuis mon premier post ! Nous sommes de plus en plus nombreux chaque jour. J’espère être à la hauteur ! Avant d’entrer dans le vif du sujet, une petite annonce: je participe le samedi 24 février à une conférence à Manhattan sur les élections de 2024 aux côtés des politologues Tristan Cabello et Fanny Lauby. La discussion est organisée par le Parti socialiste de New York. Rendez-vous au People’s Forum à 14h30 heure locale. Inscriptions ici. Visible sur YouTube aussi. J’interviendrai depuis Washington.
Ce n’est un secret pour personne: la nouvelle candidature de Joe Biden, 81 ans, n’a jamais enthousiasmé les Démocrates. Mais depuis la sortie, jeudi 8 février, du rapport de Robert Hur, la machine à doutes s’est mise à tourner à plein régime à gauche. Tout en renonçant à recommander des poursuites contre le locataire de la Maison-Blanche pour sa gestion de documents confidentiels quand il était vice-président, le procureur spécial a provoqué un tollé en le décrivant comme un “vieil homme avec une mauvaise mémoire”. Le fait que ce dernier ait dit que l’Égyptien Sisi était le président du Mexique dans une conférence de presse organisée pour se défendre n’a pas aidé son cas.
Depuis, une question agite médias, militants et simples citoyens: le Parti démocrate peut-il empêcher Joe Biden d’être son candidat ? Réponse: “oui”, mais ça serait compliqué et pas nécessairement souhaitable. J’ai choisi d’explorer pourquoi dans ce post.
C’est trop tard
Dans le système électoral américain, le processus de désignation du candidat se déroule à travers des primaires (et caucus) dans chaque État. Les candidats à l’investiture du parti pour la présidentielle doivent donc réaliser des démarches dans chacun d’eux, ainsi que dans les territoires fédéraux et auprès des électeurs à l’étranger, pour participer aux scrutins. Les règles varient, mais en général, ils doivent recueillir un certain nombre de signatures d’habitants répartis dans différentes zones géographiques. Or, comme l’observe ABC News, presque toutes les dates butoir pour concourir seront passées à la fin du mois de février. Il en restera seulement huit en mars.
Certes, un candidat de dernière minute pourrait entrer dans la course là où c’est encore possible, mais cela serait compliqué, comme l’écrit justement le site Politico. En effet, pour décrocher l’investiture, les aspirants doivent obtenir les voix d’au moins 1 986 délégués, ces individus issus de chaque État chargés de formaliser la nomination du candidat lors de la convention nationale du parti qui aura lieu en août à Chicago pour les Démocrates. Les règles d’allocation de ces délégués sont complexes, mais ils sont généralement attribués en fonction des résultats des primaires et du poids démographique de leur État. Joe Biden en possède actuellement 91 après ses victoires écrasantes en Caroline du Sud et dans le Nevada, les deux primaires qui ont eu lieu pour le moment côté démocrate. Si un candidat décide de se présenter sur le tard, il réduit ses chances de rassembler le nombre nécessaire de délégués.
Évincer Joe Biden serait risqué
Et si la direction du Parti démocrate poussait l’ancien vice-président à renoncer à sa candidature ? Ce scénario avait failli se produire en 2016, quand la responsable du Democratic National Committee (DNC), Donna Brazile, avait envisagé de remplacer Hillary Clinton après son malaise pendant une cérémonie de commémoration du 11-Septembre à New York, à deux mois de la présidentielle contre Donald Trump. Mais elle s’est ravisée.
Logique. Outre les défis logistiques (les campagnes sont de gros paquebots dont on ne peut changer le cap d’un claquement de doigt), un geste aussi radical causerait de la fébrilité et des querelles internes entre le candidat évincé et la direction du parti. Un scénario de division à éviter à l’approche des élections.
Autre possibilité: Joe Biden accepte gentiment de renoncer à briguer un second mandat en reconnaissant ses faiblesses. Mais là encore, c’est difficile à imaginer. Tout d’abord, cela serait une anomalie : dans l’histoire du pays, seuls six présidents sur quarante-six ont choisi de ne pas se re-présenter. Ensuite, il ne faut pas sous-estimer ce que signifie le Bureau ovale pour Joe Biden. Candidat à trois reprises avant 2024, il rêve de la présidence depuis qu’il est gamin. “À l’école catholique, déjà, il avait confié à une religieuse qu’il voulait être président. Et quand il était à l’université, il a établi un plan pour y parvenir”, observe Sonia Dridi, journaliste à Washington et auteure d’une biographie de l’ancien sénateur du Delaware. “Il se prépare depuis qu’il est très jeune”. Maintenant qu’il a rempli l’objectif de sa vie, hors de question pour lui de s’en aller. D’autant que les midterms de 2022 et les élections partielles qui ont eu lieu depuis, comme celle du 13 février dans le Long Island où la gauche un repris un siège de député aux Républicains, ont souri aux Démocrates.
Qui d’autre ?
C’est la grande question. Jusqu’à présent, les électeurs ont largement rejeté les deux autres candidats à l’investiture démocrate: l’auteure Marianne Williamson a “suspendu sa campagne”, comme on dit dans le jargon politique, et Dean Phillips, le député du Minnesota, a réussi l’exploit d’obtenir encore moins de voix que Williamson lors de la primaire de Caroline du Sud, début février. Bref, il va dans le mur.
Pour sa part, le bouillonnant Robert Kennedy Jr., avocat et neveu complotiste de JFK, a dû se lancer en indépendant car les cadres et les donateurs du Parti démocrate, soucieux de protéger Biden, ont étouffé illico ses aspirations à porter les couleurs de la formation politique en novembre. Il sera donc privé des moyens humains et financiers d’un grand parti pour faire campagne. Quant à Joe Manchin, le sénateur centriste de Virginie occidentale, il a annoncé, vendredi 16 février, qu’il ne se présenterait pas. La candidature de ce poil-à-gratter, proche du groupe biparti No Labels, aurait été une épine dans le pied de la Maison-Blanche.
Le candidat idéal n’existe pas
Si Joe Biden renonçait ou n’était plus en mesure de faire campagne avant la convention nationale d’août, il reviendrait aux 4 672 délégués rassemblés à Chicago de se mettre d’accord sur un remplaçant. Si sa campagne s’arrêtait après son investiture, le successeur serait désigné par la direction du parti, après consultation des leaders démocrates du Congrès et des gouverneurs. Dans tous les cas, désigner un remplaçant et son co-listier serait un casse-tête. En tant que vice-présidente, Kamala Harris aurait la corde, mais rien n’oblige les Démocrates à la retenir. D’autant que la gauche regorge de talents: le gouverneur de Californie (et meilleur ennemi de Harris), Gavin Newsom, la gouverneure du Michigan, Gretchen Whitmer, le jeune ministre des transports, Pete Buttigieg...
Problème: ils obtiennent tous un moins bon score que Joe Biden dans un hypothétique duel face à Donald Trump, comme l’a montré un récent sondage d’Emerson College. Surtout, le président est le seul à avoir battu l’ex-homme d’affaire républicain dans une élection. S’il l’a fait une fois, il peut le refaire. “À tort ou à raison, il considère qu’il est le seul à pouvoir battre Donald Trump, résume Antoine Yoshinaka, professeur de sciences politiques à la State University of New York (SUNY). Comme Trump a de fortes chances de redevenir le candidat du Parti républicain, il pense que c’est à lui de mettre une nouvelle fois un frein au trumpisme”.
“Si Trump n’était pas candidat, je ne suis pas sûr que je me serais re-présenté”, a reconnu Joe Biden lui-même devant un groupe de donateurs à Boston, en décembre.
Faire la synthèse
Enfin, il a un dernier point fort qui ne saurait être négligé : il a réussi à faire la synthèse entre les différents courants du parti, notamment l’aile progressiste incarnée par le sénateur du Vermont, Bernie Sanders, et les élus du “Squad”. Candidat en 2020, il s’est assuré de ne pas commettre l’erreur de Hillary Clinton en 2016 en intégrant les équipes de Sanders au processus d’élaboration de son programme pour l’élection générale de novembre. Pendant son mandat, il a aussi offert aux progressistes des victoires non-négligeables malgré une majorité étriquée au Congrès: investissements records dans la lutte contre le changement climatique, réduction de la dette des étudiants… Pas sûr qu’ils puissent en obtenir autant avec un autre candidat.
Députée de New York et figure de proue de la gauche de la gauche, Alexandria Ocasio-Cortez a mis en garde les détracteurs démocrates de Joe Biden: “la présidentielle n’est pas un jeu”. “Il faut rappeler que, Donald Trump, a à peu près le même âge, 77 ans. Ils auraient pu aller au lycée ensemble. Au-delà, Trump est visé par 91 chefs d’inculpation. Je sais qui je vais choisir: l’un des présidents les plus couronnés de succès de l’histoire moderne des États-Unis”, a-t-elle dit sur CNN en parlant de Biden.
Cependant, pour Sonia Dridi, “tout peut arriver du fait des incertitudes autour de son état de santé - rappelons qu’il a failli mourir d’anévrismes cérébraux en 1988. Je pense aussi que cette nouvelle candidature l’enthousiasme moins qu’en 2020, mais il ressent tout de même l’obligation morale de se re-présenter pour défendre la démocratie et les droits de l’Homme, des thèmes très importants pour lui tout au long de sa carrière. Même si ces positions sont minées aujourd’hui par la situation dans la Bande de Gaza”.