Dans le Milwaukee noir, alerte pour Biden
Reportage sur un électorat clé dans un État clé.
Mercredi 17 juillet. Alors que la convention nationale républicaine (RNC) bat son plein à dans le centre-ville-devenu-forteresse de Milwaukee à moins d’un kilomètre au sud, le quartier de Bronzeville passe une journée ordinaire. Depuis son artère principale, la tranquille avenue Martin Luther King Jr., où se trouve notamment le Musée de l’Holocauste des Noirs et des fresques murales d’Afro-Américains illustres et anonymes, la politique parait bien loin.
Pourtant, la communauté afro-américaine de Milwaukee a le pouvoir de déterminer qui sera le prochain président des États-Unis. En effet, elle représente près de 40% de cette ville posée sur les rives du Lac Michigan, bassin électoral du Wisconsin, un des “États-bascules” (“Swing States”) déterminants dans la course à la Maison-Blanche. Pour rappel, le “Badger State” et ses dix grands électeurs font partie des trois États (avec la Pennsylvanie et le Michigan) que Joe Biden ne peut pas se permettre de perdre s’il veut atteindre le seuil des 270 grands électeurs nécessaires pour se faire ré-élire.
La course sera très serrée. Il y a huit ans, Donald Trump s’y était imposé de 20 000 voix face à Hillary Clinton. L’abstention importante de la population noire de Milwaukee a été montrée du doigt pour expliquer cette défaite - le fait que la candidate n’ait pas cru bon de se rendre dans le Wisconsin n’a pas aidé non plus ! En 2020, c’était au tour de Joe Biden de crier victoire face au milliardaire, là encore avec 20 000 petites voix d’écart. C’est trois fois rien à l’échelle d’un corps électoral de plus de trois millions de personnes.
Dans ce contexte, chaque voix compte. Et la mobilisation de la communauté noire (88 000 personnes majoritairement démocrates) peut faire la différence. Le Parti républicain du Wisconsin l’a compris et a décidé d’ouvrir un local sur l’avenue Martin Luther King Jr. “Jusqu’à présent, nous n’osions pas nous adresser aux minorités car on pensait que c’était une cause perdue, mais cela à changé avec Trump, m’explique Hilario Deleon, le président du GOP (Grand Old Party) local. À 23 ans, ce militant d’origine hispanique, inspiré par la première candidature du businessman quand il était au lycée, fait partie d’une nouvelle génération de Républicains qui n’a pas peur de chambouler les habitudes. “Certes, nous n’allons pas remporter la ville de Milwaukee, mais si nous parvenons à améliorer nos pourcentages de quelques points, Donald Trump remportera le Wisconsin. La route pour la Maison-Blanche passe par Milwaukee”, reprend-t-il.
Passée la porte du local décoré de pancartes “Trump-Vance 2024”, Sharon Yancey, une volontaire qui est heureuse de me dire que sa fille s’est mariée en France, m’accueille sous une série de portraits colorés de Donald Trump, Abraham Lincoln, Ronald Reagan et du pasteur Martin Luther King Jr. Leur point commun: ils ont tous fait l’objet d’une tentative d’assassinat ou ont été tués.
Enseignante afro-américaine à la retraite, elle a rejoint le GOP car elle considérait que le système scolaire public était devenu trop “woke”, “plus préoccupé par l’acceptation des transgenres que de l’enseignement des maths”, comme elle dit. “Quand on est noir aux États-Unis, on nous fait croire qu’on ne peut voter que pour les Démocrates. Ils s’attendent à ce que nous les soutenions automatiquement, explique-t-elle. Mais il y a des gens qui sont rationnels et qui se rendent compte que le Parti démocrate n’est plus celui des années 1970. Il s’est radicalisé !”.
À Bronzeville, les pancartes “Biden-Harris 2020” et “Black Lives Matter” plantées dans les pelouses ou accrochées aux fenêtres rappellent que le quartier est solidement ancré à gauche. Cependant, pour de nombreux habitants rencontrés au hasard des rues, c’est l’indécision qui prédomine. C’est le cas de Ralph Louie, rencontré sur l’avenue Martin Luther King Jr. Chrétien, il a voté pour Joe Biden en 2020, mais aujourd’hui, il ne se reconnaît plus dans le Parti démocrate. “Ils ont capitulé face aux intérêts transgenres dans les écoles”, dit-il en référence au débat sur la participation des hommes trans dans les sports féminins au niveau scolaire. Mais il trouve aussi que Donald Trump stigmatise trop cette population vulnérable. “Les deux camps sont trop extrêmes. La plupart des Américains ne le sont pas”.
Gloria Wilson est elle aussi partagée. Ni la tentative d’assassinat de Donald Trump, ni le débat catastrophique de Joe Biden ne l’ont aidée à trancher. Électrice de Joe Biden et Kamala Harris il y a quatre ans, elle considère que l’actuel locataire de la Maison-Blanche est trop vieux pour effectuer un second mandat et le tient pour responsable de l’inflation actuelle, un thème de préoccupation majeure pour la population américaine, qui pour la majorité, n’est pas en mesure de mettre de l’argent de côté. “Les produits coûtent plus cher et ils sont plus petits, comme les sachets de chips dont le prix augmente alors qu’il y en a moins dedans”, dit-elle. Un phénomène appelé “Shrinkflation” auquel le gouvernement Biden veut s’attaquer. “Donald Trump serait peut-être le mieux placé pour régler les problèmes économiques, mais il profère beaucoup de haine et il a une influence négative sur ceux qui le suivent. Biden n’est pas très alerte, mais au moins, il n’encourage pas ce genre de comportement”.
“Donald Trump et Joe Biden sont trop vieux”, tranche pour sa part Tone Perkins, un barbier du coin. Son choix se portera en novembre sur Robert F. Kennedy Jr., le candidat indépendant et complotiste qui entend jouer les trouble-fêtes pendant le scrutin de novembre. Il le soutient notamment pour l’accent qu’il met sur le bien-être et la santé physique et mentale. “Donald Trump veut réduire la couverture médicale publique, ce qui va affecter mon père, qui est diabétique”, souffle-t-il en fumant une cigarette sur un banc. Et Joe Biden, pour qui il a voté en 2020 ? “J’ai un certain respect pour Trump car il est très direct. S’il ne nous aime pas, il le dira et ça sera clair. Mais Biden donne le sentiment d’être un ami qui veut nous aider à condition d’obtenir quelque chose en retour”.
Dans un État-bascule comme le Wisconsin, où le scrutin se jouera à quelques milliers de voix, ces électeurs de Biden qui s’abstiennent ou se détournent vers un “petit” candidat pourraient couler les Démocrates en novembre. D’autres, qui n’avaient pas voté en 2020, m’ont dit qu’ils choisiraient Trump. C’est le cas d’un homme prénommé Curtis qui était en prison il y a quatre ans. “Comme Trump a eu des problèmes avec la justice, il fera quelque chose pour nous”, m’a-t-il dit. Ou encore de Tony, la propriétaire d’un “food truck” que j’ai croisée dans le quartier. “Trump est plus ferme avec ses mots. Il accomplirait plus de choses”, croit-elle.
La campagne de Joe Biden a compris l’importance de mobiliser les troupes. Kamala Harris, la première vice-présidente noire, effectuera un déplacement de campagne le 23 juillet à Milwaukee - son cinquième au Wisconsin cette année. Gail Simpson, 61 ans, penche en faveur du président sortant - s’il ne retire pas sa candidature. “Il est vieux, il a des trous de mémoires. Je prie pour lui, dit-elle. Mais j’ai entendu Trump dire qu’il serait un dictateur le premier jour de sa présidence. On n’a pas besoin de ça”.
Une photo pour la route…
Je suis rentré de Milwaukee vendredi matin à New York, fatigué mais avec des souvenirs forts de la convention nationale républicaine. Avec au moins trois articles par jour, sur quatre jours, je n’ai pas eu le temps de m’ennuyer ! Voici une photo prise de l’intérieur du Fiserv Forum, où se déroulait ce rassemblement pendant lequel Donald Trump a été investi candidat à la Maison-Blanche. On voit la foule réagir à la photo icônique de l’ex-homme d’affaires levant le poing au ciel, avec le drapeau américain en fond, juste après sa tentative d’assassinat.
Etat-bascule ou état-clef ?
Interessant, merci.