Droits de douane: l'art de se tirer une balle dans le pied
Donald Trump est-il vraiment mieux préparé qu'en 2017 ?
Après la seconde élection de Donald Trump, les commentateurs affirmaient qu’il était plus préparé que jamais. C’est vrai et c’est faux. Il est indéniable que le Républicain est mieux rodé qu’après sa première victoire, à laquelle il n’a pas cru lui-même. Mais on ne devrait pas non plus sous-estimer sa capacité hors normes à être son pire ennemi. L’épisode des droits de douane prohibitifs dévoilés mercredi 2 avril dans les jardins de la Maison-Blanche à l’aide d’un beau tableau coloré (ci-dessus) en est le dernier exemple en date. Explications.
L’illusion de la compétence
La cadence effrénée des décrets signés depuis son retour au pouvoir a eu l’effet escompté: marquer les esprits et donner l’image d’un président efficace, décidé à imprimer sa marque rapidement et avec force. Mais au milieu du tourbillon, le locataire de la Maison-Blanche et ses équipes ont montré des signes d’amateurisme qui ne vont pas sans rappeler le premier mandat de l’ex-homme d’affaires.
Sitôt arrivé en poste, en janvier 2017, il avait sorti de sa casquette rouge un décret interdisant aux ressortissants de plusieurs pays musulmans d’entrer sur le territoire américain - le fameux “Muslim ban”. Les agences concernées n’avaient pas été informées. Pas plus que les compagnies aériennes. Ce qui avait donné lieu à plusieurs jours de chaos dans les aéroports américains. Huit ans plus tard, voilà qu’il dégaine un autre texte sorti de nulle part gelant cette fois-ci le versement de plusieurs milliards de dollars d’aides fédérales. Une décision radicale qui a pris le pays de court, y compris certains membres de l’entourage de Donald Trump. Là encore, le résultat fut plusieurs jours voire semaines de confusion. Ceux-ci se sont soldés par la décision extraordinaire du gouvernement d’annuler la mesure.
Ce mythe de la compétence a aussi été mis à mal par d’autres affaires, comme le désormais célèbre “Signalgate”. Dans le domaine migratoire, où l’action de Donald Trump pour expulser les sans-papiers violents jouit d’un niveau de soutien important dans l’opinion, le voile de fumée commence à s’estomper. Malgré les images chocs de membres de gangs vénézuéliens débarqués au Salvador, le gouvernement commet des impairs basiques. Kilmar Abrego García en a fait les frais. Marié à une citoyenne américaine, ce père d’autiste de 5 ans a été envoyé par accident dans une méga-prison du Salvador remplie de membres de gangs. La Maison-Blanche a reconnu l’erreur, mais a argué qu’elle n’avait pas le pouvoir de le faire revenir. Le vice-président J.D. Vance a mis de l’huile sur le feu en affirmant, faussement, que l’homme était un dangereux criminel. Vendredi, un juge du Maryland a ordonné aux autorités américaines d’arrêter de tourner en rond et de négocier sa libération.
Le cas Musk
L’action d’Elon Musk et de son Département de l’Efficacité Gouvernementale (DOGE), pour réduire drastiquement les dépenses publiques, aura également sérieusement écorné l’image d’une administration sérieuse et disciplinée. Alors qu’une majeure partie de la population américaine se dit favorable à une réduction de la voilure de l’État fédéral, le rejet des méthodes de Musk est réel, si l’on en croit les sondages. En plus d’être brutales, elles sont marquées elles aussi par un certain amateurisme, comme l’ont montré les nombreux cas de fonctionnaires virés puis rappelés. Parmi eux, des employés chargés de lutter contre l’épidémie actuelle de grippe aviaire, ou travaillant au sein de l’administration responsable de la sécurité nucléaire ou dans le centre d’appel d’urgence pour les anciens combattants suicidaires. Pas plus tard que vendredi, le ministre de la santé, Robert Kennedy Jr., a annoncé qu’environ 20% des 10 000 employés remerciés lundi dernier seront ré-intégrés. “Du personnel qui n’aurait pas dû être coupé l’a été… Nous ferons des erreurs”, a-t-il dit.
Et maintenant, les droits de douane
L’annonce d’un droit de douane plancher de 10% sur toutes les importations soulève encore et toujours la même question: Donald Trump sait-il vraiment ce qu’il fait ? Beaucoup en doutent plus ou moins ouvertement, y compris dans son propre parti. “Il croit que c'est exactement ce qu'il doit faire, d'accord ? Et j'espère qu'il a raison. J'espère que les sceptiques ont tort. Je ne sais pas”, a déclaré le député républicain du Wisconsin Ron Johnson. Le sénateur du Texas Ted Cruz, qui n’est pas du genre à critiquer le milliardaire, a lui aussi émis des doutes sur la stratégie, qui risque fort de déboucher sur une hausse des prix pour les consommateurs, comme l’a indiqué le patron de la Fed vendredi. À contre-pied des promesses de campagne du candidat Trump qui avait fait de la lutte contre l’inflation de l’ère Biden l’une de ses priorités. En outre, quatre élus du “Grand Old Party” (GOP) ont voté avec les sénateurs démocrates pour retirer au président les pouvoirs qu’il a invoqués pour augmenter les droits d’entrée sur les importations canadiennes.
Et ce ne sont pas les questionnements sur le calcul opaque de ces lourdes surtaxes et les mèmes de pingouins qui circulent sur les réseaux sociaux depuis l’annonce qui donnent le sentiment que son plan a été murement réfléchi. Ces derniers font référence aux îles australiennes de Heard et McDonald qui se sont mystérieusement retrouvées sur la liste des pays visés alors qu’elles ne sont peuplées que par ces oiseaux de mer ! “Pauvres vieux pingouins, je ne sais pas ce qu'ils ont fait à Trump, mais, écoutez, je pense que c'est une indication, pour être honnête avec vous, que c'était un processus précipité”, a ironisé le ministre australien du commerce lors d’une interview.
Les justifications du président et de ses ministres renforcent l’impression qu’ils naviguent à vue. “Je pense que ça se passe très bien”, a répondu Donald Trump quand un journaliste l’a interrogé sur la dégringolade des bourses. Lors d’un entretien avec l’animateur ultra-conservateur Tucker Carlson, Scott Bessent, le secrétaire au Trésor, a mis la responsabilité du tumulte actuel… sur l’outil d’intelligence artificielle chinois DeepSeek.
Peut-être que l’avenir donnera raison à Donald Trump et que ses droits de douane permettront, comme il le souhaite, de renforcer la production nationale, rapatrier les usines parties à l’étranger et même remplacer l’impôt sur le revenu. Mais pour Randall Holcombe, un économiste auquel j’ai parlé cette semaine, le pari est extrêmement risqué.
Pour lui, l’argument de la relance industrielle n’est pas valable: “l’économie est déjà proche du plein emploi”. Il fait aussi valoir que “cette politique crée de l’incertitude. L’instabilité est l’ennemi de la bonne conduite des affaires car elle complique les projets d’investissements au long cours. Certes, les droits de douane vont affecter l’économie, mais l’incertitude à elle seule peut suffire à plonger le pays dans une récession”.
Le fait que Donald Trump cite comme source d’inspiration le 25ème président des États-Unis, William McKinley, qui fut en poste il y a plus d’un siècle (entre 1897 et 1901), le rend particulièrement nerveux. Celui que l’on surnomma le “roi des droits de douane” instaura des barrières tarifaires élevées sur presque toutes les importations pour augmenter les recettes de l’État. Ce que le président actuel ne dit pas, c’est que l’économie américaine était moins connectée au reste du monde à l’époque et l’impôt fédéral sur le revenu n’existait pas. McKinley finira par tourner le dos à cette mesure protectionniste.
D’après Randall Holcombe, la politique actuelle de Donald Trump évoque surtout les surtaxes prohibitives imposées sur des centaines de produits dans le cadre de la loi “Smoot Hawley” de 1930 pour protéger les entreprises et les agriculteurs pendant la Grande Dépression. “Le consensus, c’est que cette loi a prolongé la crise économique”, dit-il.
Conséquences dans les urnes
Sur le plan politique, le chaos se paie déjà dans les urnes, comme l’a montré l’élection, mardi dernier, d’une juge soutenue par le Parti démocrate à la Cour suprême du Wisconsin, un “swing state” de la présidentielle que Donald Trump a remporté en 2024. Les résultats ont été interprétés comme un rejet d’Elon Musk. Celui-ci s’était impliqué dans la campagne en tenant un meeting sur place, avec un chapeau-fromage (produit-phare de l’État) sur la tête, et en déboursant plus de vingt millions de dollars pour soutenir le candidat conservateur.
Par ailleurs, dans deux élections législatives partielles organisées le même jour en Floride, les candidats républicains ont enregistré des victoires plus serrées que Donald Trump face à Kamala Harris dans les mêmes circonscriptions.
L’affaire des droits de douane pourrait accroître la pression sur les Républicains. D’après une récente enquête YouGov-CBS News, 55% des Américains pensent que Donald Trump ne se focalise “pas assez” sur la baisse des prix. Lors de son allocution devant le Congrès en mars, il a déclaré que ses compatriotes “ressentiront un peu de perturbations” à cause de ses choix, “mais cela nous va”. Le commentaire a rendu nerveux les députés du GOP issus de “circonscriptions-pivots” (susceptibles de basculer dans un camp comme dans l’autre du fait de leur démographie politique), sur lesquelles reposent le contrôle de la Chambre des Représentants. Celle-ci sera remise en jeu à l’occasion des élections de mi-mandat (“midterms”) de novembre 2026. Cela laisse peu de temps au locataire de la Maison-Blanche pour prouver à ses détracteurs qu’il a raison et sait ce qu’il fait.
À suivre…
Forte des bons résultats du Wisconsin, la “résistance” prend du poil de la bête. Plusieurs groupes organisent samedi 5 avril une grande mobilisation nationale pour protester contre les politiques de Donald Trump. Plus d’un millier de manifestations sont prévues aux États-Unis et à l’étranger, avec 250 000 “RSVP”enregistrés par les organisateurs. Il s’agit du plus grand rassemblement anti-Trump du second mandat du Républicain.
Il a toujours été un supporter des droits de douane et son rapprochement avec Peter Navarro semble le rendre insensible aux conséquences potentielles. Perso je ne crois pas que la ré-industrialisation sera la solution : main d’oeuvre plus chère plus automatisation ne font pas bon ménage.
Pour payer les voitures au prix made in america il faudrait que les salaires des ouvriers suivent. Je ne le vois pas se passer aux États-Unis où la maximisation du profit se fait toujours au détriment des petites et grandes mains…
Article PASSIONNANT. Merci.