Même si le décompte des voix des élections de 2024 n’est pas terminé, le scrutin est largement derrière nous. Pour moi, cela signifie lever (un peu) le pied, passer plus de temps avec ma fille de six mois et ma femme et apprécier tranquillement les couleurs de l’automne à New York. D’ailleurs, j’en profite pour vous annoncer qu’il n’y aura pas de “Caucus” la semaine prochaine pour cause de Thanksgiving.
À la Maison-Blanche, en revanche, c’est une autre histoire. Joe Biden n’a pas une minute à perdre avant l’entrée en fonction de son successeur le 20 janvier à midi heure de Washington. Il profite de la période de passation de pouvoir pour consolider les acquis et sauver les meubles qui peuvent l’être avant que Donald Trump ne revienne dessus. Dans “Le Caucus” du week-end, on s’intéresse à la manière dont le président sortant utilise ses dernières semaines au pouvoir.
Un entre-deux délicat
La transition entre gouvernements est particulièrement longue aux États-Unis (75 jours entre “Election Day” et l’investiture). C’est à la fois un avantage et un inconvénient. Cela permet au nouveau locataire de la Maison-Blanche de prendre le temps de former son gouvernement et d’installer ses équipes, mais cela crée une forme de cohabitation entre un président élu et un sortant aux intérêts parfois divergents. Ce dernier accuse aussi une perte d’influence. Ce n’est pas un hasard s’il est surnommé “lame duck” (“canard boiteux”) pendant cette période d’entre-deux.
“Il y a un président à la fois, ce qui est particulièrement important sur la scène internationale, mais pendant la passation de pouvoir, le président-élu peut commencer à prendre contact avec des leaders étrangers. Cela peut donner lieu à des situations bizarres”, explique Heath Brown, professeur à l’université John Jay et auteur d’un ouvrage sur la transition de 2020.
Ce phénomène était visible cette semaine lors du déplacement de Joe Biden en Amérique latine pour les sommets du G20 et de l’APEC (Asia-Pacific Economic Cooperation). Le président américain a soigneusement évité de parler à la presse et de mentionner le nom de son successeur pendant le voyage, même si le retour du milliardaire était dans tous les esprits.
On l’a également vu sur l’Ukraine. Inquiet que Donald Trump ne mette un terme à ce conflit dans des conditions défavorables à Kiev, Joe Biden a donné son feu vert le 17 novembre à l’utilisation de missiles longue portée, susceptibles d’atteindre l’intérieur du territoire russe, causant un regain de tensions avec le Kremlin. Plusieurs alliés du Républicain, dont son fils, Don Jr., ont accusé Biden de vouloir démarrer “la troisième guerre mondiale” avant de quitter la Maison-Blanche.
“Exécution, exécution, exécution”
Cet épisode des missiles le montre: alors que le vainqueur de 2024 prépare son entrée en fonction, le futur ex-président a le nez dans le guidon et entend prendre des décisions importantes jusqu’au bout. “Le peuple américain a élu Joe Biden pour effectuer un mandat de quatre ans, pas trois ans et dix mois”, a rappelé Matthew Miller, l’un des porte-paroles du Département d’État lors d’un récent briefing.
C’est peu ou prou le message que le 46e président et son entourage font passer en public et en privé. Lors d’un appel avec deux mille employés fédéraux rapporté par le Washington Post, le chef de cabinet de la Maison-Blanche, Jeff Zients, a indiqué que le mot d’ordre de cette fin de mandat serait “exécution, exécution, exécution”. En d’autres termes, mettre en oeuvre un maximum de mesures prises pendant la présidence pour que Donald Trump ne puisse pas les remettre pas en cause. C’est vrai pour les dépenses liées à l’Ukraine et d’autres dossiers qui divisent les deux hommes.
Toujours d’après le WaPo, la Maison-Blanche indique avoir affecté 98 % des financements débloqués pendant l’année fiscale 2024 dans le cadre les quatre grandes lois de la première moitié de la présidence Biden: “American Rescue Plan” (plan de relance), “Inflation Reduction Act” (lutte contre le changement climatique, entre autres), “Chips and Science Act” (relance de l’industrie des semi-conducteurs), “Bipartisan Infrastructure Law” (modernisation des infrastructures). Le gouvernement entend dépenser le reste - et les 46 milliards de dollars supplémentaires disponibles depuis le début de l’année fiscale 2025 (1er octobre 2024) - en bouclant aussi rapidement que possible des projets de réglementation, d’investissement et de subventions.
Le domaine de la transition énergétique et de la lutte contre le changement climatique concentre les efforts. Pendant la campagne, Trump n’a pas caché son intention de revenir sur les mesures environnementales prises par le Démocrate. Il voudrait faire de Chris Wright, le président d’une grande entreprise de fracturation hydraulique, son ministre de l’Énergie alors qu’il nie l’existence d’une crise climatique.
D’après Politico, le Ministère de l’Énergie doit encore donner son aval à quelque 25 millions de dollars de prêts destinés à des entreprises dans tout le pays pour mener à bien des initiatives de transition énergétique (déploiement d’énergies renouvelables, chargeurs pour les voitures électriques, fabrication de batterie lithium-ion…). Une fois cet argent promis, il sera plus difficile pour le nouveau gouvernement de revenir dessus.
Autre domaine dans lequel Joe Biden veut accélérer le mouvement: l’installation de juges dans les tribunaux fédéraux, un pouvoir méconnu du président qui est pourtant très important. En effet, ce sont ces juges nommés à vie qui se prononcent sur la constitutionnalité des actes de l’administration et des lois dans tous les domaines de la vie quotidienne, de l’avortement à l’environnement en passant par l’exercice de la religion et le droit du travail.
Deux-cent trente quatre juges ont été validés pendant le premier mandat de Donald Trump. Joe Biden, dont le compteur est à 217, entend faire mieux d’ici l’entrée en fonction du prochain Sénat, responsable de la confirmation des juges fédéraux. Les Démocrates seront minoritaires dans la future chambre haute.
D’ici là, Donald Trump, conscient de l’importance de ces nominations, a appelé les siens à leur mettre des bâtons dans les roues. “Sur le chemin de la sortie, les Démocrates essaient de bourrer les tribunaux de juges gauchistes radicaux, a-t-il écrit mardi sur son réseau Truth Social. Les sénateurs républicains doivent monter au créneau et faire front - pas un seul juge confirmé avant l’investiture !”
La marge de manoeuvre de Trump
Donald Trump a promis de revenir sur de nombreuses mesures mises en oeuvre pendant la présidence Biden. L’“Inflation Reduction Act” (IRA) et ses investissements historiques dans le climat sont tout en haut de sa liste. Il a notamment dit qu’il annulerait les crédits non-dépensés prévus dans cette loi adoptée en 2022.
Le cas de l’IRA offre cependant un bon exemple de la marge de manoeuvre limitée qu’aura Donald Trump pour revenir sur le bilan de son prédécesseur. En effet, si un président américain peut agir unilatéralement, par décret, pour défaire des actes émanant de l’exécutif, il ne peut pas changer les lois - une tâche qui incombe au Congrès, dépositaire du pouvoir législatif. Certes, il peut décider de mettre en pause l’exécution de dépenses, mais les experts s’accordent à dire qu’il ne peut pas supprimer des crédits adoptés par les parlementaires. Seuls ces derniers peuvent le faire.
Bien entendu, Donald Trump, ayant une majorité dans les deux chambres, peut demander aux députés et sénateurs de revenir sur les lois Biden. Mais le feront-ils ? Rien n’est moins sûr. Comme nous l’avons vu dans “Le Caucus” de la semaine dernière, ses majorités au Congrès sont très serrées. Au Sénat, où la plupart des lois requièrent le soutien de soixante sénateurs sur cent en raison de la règle du “filibuster”, le contingent républicain de 53 personnes est loin du compte.
Par ailleurs, de nombreuses circonscriptions représentées par des Républicains ont profité des financements de l’IRA pour créer des emplois et stimuler l’activité économique. D’après le groupe E2, les États “rouges” et ces circonscriptions parlementaires seraient même les grands gagnants de cette loi pourtant boudée par l’ensemble des parlementaires du “Grand Old Party” lors de son passage au Congrès il y a deux ans. Joe Biden s’en est amusé à plusieurs reprises depuis.
La logique de la campagne n’est pas celle de l’exercice du pouvoir…
Avant de se quitter…
Ma fille ne nous laisse pas beaucoup de temps, ma femme et moi, pour regarder un film. Mais nous avons récemment pu finir le documentaire “War Game”, disponible en streaming sur Apple TV, YouTube et d’autres plateformes, ainsi qu’en salles aux États-Unis. Le pitch: des membres de gouvernements américains passés revêtent les habits d’un président, de ministres et de conseillers pour prendre part à une simulation de coup d’État organisée par une association d’anciens militaires. Ils ont six heures pour mettre un terme à une insurrection dans les rangs de l’armée et assurer le transfert du pouvoir. Le documentaire suit le processus de décision des acteurs confrontés à des imprévus.