L'atout secret des Démocrates
Donald Trump leur a fait une belle fleur.
Le mardi 5 novembre est souvent cité comme la date des élections américaines. En effet, “Election Day” découle d’une loi fédérale de 1845 qui fixe au “mardi après le premier lundi de novembre” le moment où les Américains se rendent aux urnes pour choisir leur président, vice-président et d'autres représentants. C’est le vestige d’une époque où la société américaine était largement agraire. En novembre, la moisson était terminée et la météo, relativement clémente, permettait aux fermiers de faire le trajet, parfois long, pour rejoindre le bureau de vote le plus proche, en ville.
En réalité, les élections de 2024 ont déjà commencé. Des millions d’Américains ont la possibilité de se rendre à l’isoloir depuis le vendredi 20 septembre, avec le début de l’“early voting” (“vote anticipé”) en Virginie, dans le Minnesota et le Dakota du Sud. Dans le premier État, plus de 350 personnes étaient au rendez-vous à l’ouverture des portes du bureau de vote du Western Government Center, le centre administratif du comté de Henrico à Richmond. Ce qui laisse présager d’une force participation. La plupart des autres États suivront à des dates ultérieures.
Avec le duel serré qui s’annonce entre Kamala Harris et Donald Trump, cette modalité de vote est devenue un enjeu stratégique majeur pour les deux partis. On en parle dans “Le Caucus” du week-end.
Pourquoi c’est important
L’ “early voting” était une option relativement méconnue jusqu’aux élections de 2020. Afin de désengorger les bureaux de vote le Jour-J sur fond de pandémie, plusieurs États ont allongé la période de vote en personne ou par correspondance. Les Américains ont plébiscité ce changement. Il y a quatre ans, la majeure partie des 150 millions de votants (70%) avaient accompli leur devoir civique avant “Election Day”. L'engouement s'était confirmé pendant les élections de mi-mandat (“midterms”) deux ans plus tard. Il faut dire que le choix de fixer les scrutins au mardi, hérité là aussi du XIXème siècle, quand il était inconcevable de voter le dimanche pour cause de culte, est critiqué depuis longtemps. Ce jour n’étant pas férié dans la plupart des États, il est parfois difficile de se libérer du travail pour exprimer son suffrage.
Alors que les Démocrates encouragent de longue date leur base à utiliser l’“early voting” pour éviter de se retrouver à la merci d’un pépin de dernière minute qui empêcherait leur voix d’être comptabilisée (problème avec une machine de vote, météo non-clémente, file d’attente trop longue…), les Républicains se montrent plus ambivalents. Ces dernières années, de nombreux élus et militants ont affirmé - sans preuve - que le vote anticipé - par correspondance en particulier - a été utilisé pour truquer le scrutin de 2020. Tyler Bowyer, l’un des responsables de Turning Point USA, principale organisation de jeunes conservateurs et acteur incontournable de la droite trumpiste, a expliqué dans un podcast qu’il permettait aux Démocrates de calculer combien de bulletins frauduleux ils devaient sortir de leur chapeau lors d’“Election Day” pour combler leur éventuel retard et ainsi s’arroger la victoire.
Donald Trump a lui aussi soufflé le chaud et le froid. Très critique de cette méthode de vote depuis quatre ans, il a changé de musique il y a quelques mois. Dans une vidéo diffusée pendant la Convention nationale républicaine (RNC) en juillet dernier à Milwaukee (Wisconsin), il a promis de “sécuriser les élections une fois pour toutes”, mais “en attendant, les Républicains doivent gagner, et utiliser tous les outils à notre disposition pour battre les Démocrates. Que vous votiez tôt en personne ou par courrier, nous allons protéger le vote”.
Il y a encore quelques mois, il disait à la chaîne conservatrice Fox News que “le vote par correspondance et la fraude vont main dans la main”.
La machine à perdre
Les conséquences de ce genre de propos ne doivent pas être négligées. Dans le Wisconsin, un des “swing states” de 2020 et de 2024, Joe Biden s’est imposé de 20 000 voix face à Donald Trump il y a quatre ans. Les 170 000 votes par correspondance du comté de Milwaukee ont participé à sa victoire. Certains, à droite, ont encore le souvenir amer des “midterms” de 2022 en Arizona, un autre État pivot de la présidentielle, dont le poste de gouverneur a été remporté par la Démocrate Katie Hobbs avec 17 000 voix d’avance face à son adversaire Kari Lake. Dix-neuf mille Démocrates de plus ont voté par correspondance par rapport aux Républicains. Ce scrutin avait été entaché par des dysfonctionnements de machines de vote le Jour-J. Dans le comté de Maricopa, le plus peuplé de l’État qui correspond à l’agglomération de Phoenix, les équipements dans un bureau de vote sur cinq ont connu des problèmes techniques ce jour-là. Les complotistes se sont fait plaisir.
La méfiance des Républicains envers le vote anticipé ne s’est pas dissipée. D’après une étude de l’Institut Pew publiée en février dernier, ils sont toujours moins favorables à cette option que les Indépendants et les Démocrates (68% contre 76% et 88%). Quand on leur demande s’ils soutiennent la possibilité pour chaque citoyen qui le souhaite de voter par correspondance, la proportion chute à 29% (elle était de 48% en 2018), bien en-dessous des autres groupes: 57% pour les Indépendants, 84% pour les Démocrates.
Changement de ton
Cette situation crée un véritable casse-tête pour les instances dirigeantes du “Grand Old Party” (GOP), qui ont bien compris l’intérêt stratégique de l’“early voting”, quoi qu’en dise l’ancien président. En 2023, le parti a lancé un programme appelé “Bank your Vote” pour encourager les électeurs à se mobiliser avant le Jour-J. “C'est un calcul simple : l’objectif est d’obtenir autant de votes que possible avant le jour du scrutin, mais c'est problématique quand des gens autour de vous disent de ne pas voter tôt ou de ne pas voter par courrier. Ces messages croisés ont un impact”, disait alors la présidente du Comité national républicain (RNC), Ronna McDaniel. La nouvelle direction, co-assurée par la belle-fille de Donald Trump, Lara, a rebaptisé ce programme “Swamp the Vote”. Son objectif: inciter les électeurs à voter en masse avant le 5 novembre pour qu’il y ait “trop de voix pour truquer le scrutin” (“too big to rig”).
D’autres initiatives ont vu le jour. Politico a noté que la députée de New York, Elise Stefanik, l’une des cadres du parti à la Chambre des Représentants, voulait mettre de côté un million de dollars pour accroitre la participation de la base avant “Election Day” et défendre les sièges de cinq de ses collègues et en remporter d’autres. En effet, le contrôle de la Chambre des Représentants pourrait se jouer dans une poignée de circonscriptions à New York, comme on l’a vu dans Le Caucus de la semaine dernière.
Même Turning Point USA s’y est mis. Malgré les critiques de ses dirigeants contre le vote anticipé, le groupe a investi 108 millions de dollars dans une campagne prénommée “Chase the Vote” pour identifier les électeurs proches du Parti républicain qui n’ont pas participé aux deux dernières élections et les encourager à voter par correspondance. Ses efforts de dernière minute suffiront-ils à rattraper le terrain perdu ces dernières années ? Réponse dans un peu plus d’un mois.
Avant de se quitter…
Le deuxième épisode de mon podcast sur les élections de 2024 vient d’être mis en ligne sur le site de La Croix. Thème du jour: “l’avortement fera-t-il perdre les Républicains ?”. Réalisé en partenariat avec le site d’information French Morning et le programme Alliance-Columbia. À écouter ici.