Le supplice de Kamala Harris
Le mois de janvier s'annonce pourri pour la vice-présidente.
Difficile d’oublier la scène. Le 6 janvier 2021, je me trouvais au pied du Capitole, assistant, incrédule, à l’assaut du siège du Congrès par des centaines de partisans trumpistes. De cette journée, j’ai conservé quelques images en mémoire: une colonne d’individus asiatiques se dirigeant vers le bâtiment en criant “We love Trump !”, un drapeau français brandi par un émeutier, un caméraman malmené, les gaz lacrymogènes… Je me rappelle surtout d’avoir pensé: “pourvu que tout le monde ait été évacué du Capitole !”
Quatre ans plus tard, les parlementaires se réuniront de nouveau dans ce temple de la démocratie américaine pour compter les voix des “grands électeurs” et déclarer officiellement le vainqueur de la présidentielle. C’est l’ultime étape du scrutin de 2024, après le vote populaire en novembre et celui des “electors” en décembre. Personne ne s’attend à revivre les scènes de violence de 2021, tout simplement parce que Donald Trump a gagné cette fois-ci.
Au cours de cette journée, les regards se tourneront certainement vers Kamala Harris qui, à l’issue du comptage des voix, se retrouvera dans la situation pour le moins inconfortable de proclamer la victoire de Donald Trump - et donc sa propre défaite. En effet, c’est au vice-président, qui porte également la casquette de président du Sénat, qu’il incombe de superviser la cérémonie et d’annoncer les résultats finaux de l’élection présidentielle.
Elle n’est pas la première à devoir se plier à cet exercice qu’on imagine difficile sur le plan personnel. En janvier 2001, le vice-président Al Gore, battu au terme d’une élection rocambolesque face à George W. Bush, s’était acquitté de la tâche avec le sourire - et un brin d’humour. Il avait conclu la session en déclarant: “Que Dieu bénisse le nouveau président, le nouveau vice-président et les États-Unis d’Amérique”.
Le supplice de Kamala Harris ne s'arrêtera pas là. Le lundi 20 janvier, la Démocrate devra assister à l’investiture de celui qui a questionné ses facultés intellectuelles et son identité raciale. Elle marchera alors dans les pas d’Hillary Clinton, qui s’était rendue au sacre du milliardaire en tant qu’ex-Première dame le 20 janvier 2017. Deux ans plus tard, elle confiera à l’animateur Howard Stern que c’était “l’un des pires jours de la vie”.
Et après ? Pour Kamala Harris, ça sera le saut dans l'inconnu. Pour la première fois depuis le début de sa carrière politique en 2002 comme simple procureure locale à San Francisco, elle n’aura plus aucun mandat. Explorons ses options.
“Continuer le combat”
Depuis sa défaite, l'ex-candidate s’est très peu montrée en public. En dehors de quelques clichés lors de vacances à Hawaï avec sa famille et des membres de son équipe de campagne, on l'a vue aux côtés de Joe Biden aux commémorations du 11-novembre au cimetière américain d’Arlington et à une remise de prix au Kennedy Center, une salle de concert de Washington.
Ses prises de parole ont été encore plus rares. Depuis son discours de défaite sur le campus son ancienne université, Howard University, devant des partisans déçus, elle s’est rendue dans une école du Maryland pour s'adresser à un public de jeunes leaders locaux. Lors de son intervention d'une quinzaine de minutes, elle a évoqué les lettres de soutien reçues à la suite de son échec et a exhorté son auditoire à “continuer à se battre pour la promesse de l’Amérique”. Elle n’a pas prononcé le nom de Donald Trump.
Sans surprise, elle n’a rien dit de son avenir politique. À Howard, elle a assuré son public de supporteurs qu’elle n'abandonnera “jamais la lutte pour un futur où les Américains peuvent poursuivre leurs rêves, aspirations et ambitions”, mais n'a pas précisé quelle forme prendrait son engagement. Plusieurs possibilités s’offrent à elle. Elle pourrait opter pour le “modèle Al Gore”, qui s’est mis en retrait de la vie politique après sa défaite pour défendre une cause qui lui est chère - le climat. Dans le cas de Kamala Harris, la défense des droits reproductifs et le soutien aux jeunes filles (de couleur en particulier) pourraient être au coeur de ses futurs projets.
Autre possibilité: retourner dans l’arène politique. En 2026, le gouverneur de Californie, Gavin Newsom, ne pourra pas se représenter pour un nouveau mandat, donnant à Kamala Harris la possibilité de rebondir dans son État natal, un bastion démocrate. Un récent sondage de l’Université de Californie-Berkeley et du Los Angeles Times a trouvé que près de la moitié des électeurs californiens seraient susceptibles de la soutenir en cas de candidature. Quand on demande aux seuls Démocrates, le pourcentage s’envole à 72%.
Dans l’éventualité d’une victoire, elle deviendrait la première femme à diriger le “Golden State” et serait en mesure de peser contre Donald Trump à la tête de l’État le plus peuplé du pays et l’un des plus dynamiques sur le plan économique.
Pour Kamala Harris, cela signifierait renouer avec une voie qu’elle aurait pu prendre en 2015. À l’époque, elle était procureure générale de Californie. Elle avait la possibilité de se présenter soit au poste de gouverneur soit à celui de sénateur de l’État. Le premier aurait été le choix logique, mais elle a choisi le second en pensant, à juste titre, qu’une place à la chambre haute à Washington lui donnerait une envergure nationale.
Une autre présidentielle ?
Et la Maison-Blanche dans tout ça ? Âgée de 60 ans aujourd’hui, elle reste assez “jeune” pour re-tenter sa chance en 2028 voire 2032. C’est le souhait de Magdalena Grevitch, une Démocrate de New York. “Elle n’a eu que trois mois pour faire campagne en 2024 car Joe Biden a attendu trop longtemps pour se retirer. Cela serait injuste qu’elle n’ait pas une nouvelle opportunité”, estime-t-elle.
Si la future ex-vice-présidente décide de repartir à la conquête de la Maison-Blanche, elle devra néanmoins affronter d’autres rivaux démocrates dans le cadre de primaires. Or, entre Gavin Newsom, le gouverneur de Pennsylvanie Josh Shapiro ou encore l’ancien ministre des transports Pete Buttigieg, les possibles prétendants ne manquent pas. Ils pourraient arguer que son tour est passé.
Et la dernière fois qu’elle a participé à des primaires présidentielles, en 2019, elle s’était retirée avant les caucus de l’Iowa, qui marquent l’ouverture du processus de désignation du candidat. Elle, la centriste pragmatique, avait eu du mal à trouver sa place et son ton dans cette campagne interne marquée par un virage à gauche du parti. “Sa grande chance en 2024, c’est qu’elle n’a pas eu à se frotter à cet exercice des primaires où elle n’est pas très bonne”, raconte Corey Cook, professeur de sciences politiques à l’université Saint Mary’s College of California.
Il n’empêche que sa campagne éclair à la suite de l’abandon de Joe Biden a fait d’elle une personnalité de poids à gauche. Ses soutiens font remarquer que, même si elle a perdu la présidentielle, l’élection fut serrée malgré les vents économiques contraires et les contraintes de temps. Au final, Donald Trump l'a devancée de 1,5 point seulement au vote populaire.
Si elle décide de re-tenter sa chance, elle ne serait pas la première. Vice-président sortant, Richard Nixon avait été battu à la présidentielle de 1960 par John F. Kennedy. Mais huit ans plus tard, il décrochait son ticket pour la Maison-Blanche.
Une chose est certaine: l’ouverture d’une porte en fermerait d’autres. Si elle choisit de viser le poste de gouverneur de Californie dès l’an prochain, il serait difficile de justifier une candidature à la présidentielle de 2028. Si elle se présente aux primaires pour la Maison-Blanche à partir de 2027, elle risque de laisser filer une opportunité en or de devenir le leader d’un État conséquent.
D’après le site d’information Politico, elle a prévu de discuter de son avenir avec des membres de sa famille cet hiver. “Elle fait partie d’un club très restreint de 49 personnes ayant été vice-présidents dans l’histoire des États-Unis. De surcroît, elle aura été la première femme et individu de couleur à avoir occupé ce poste, rappelle Joel Goldstein, ancien professeur à l’Université de Saint-Louis et spécialiste de la vice-présidence. Quoi qu’elle décide de faire, elle n’aura pas raté sa vie !”
Avant de se quitter…
Le premier de trois épisodes “bonus” de mon podcast “C’est ça l’Amérique” est en ligne sur le site de La Croix. Avec l’auteure franco-américaine Julie Girard, nous avons parlé de l’influence d’Elon Musk et de ce que lui et Donald Trump ont à gagner (et perdre) de leur alliance. À écouter ici: