Le "vol" de la présidentielle version 2024
Que la campagne de délégitimation commence.
Dans “Le Caucus”, j’essaie de rester au cœur de l’actualité. En général, je me décide sur le thème que je vais traiter vendredi pour m’assurer qu’il soit encore frais samedi matin, quand l’e-mail arrive dans votre messagerie. Mais j’aime aussi alerter les lecteurs sur des sujets aux marges de l’info du moment qui pourraient prendre de l’importance demain - des “signaux faibles” à surveiller.
C’est le cas du “Caucus” du jour. On se penche sur comment les Républicains trumpistes préparent le terrain pour une possible contestation des résultats de la présidentielle de novembre en cas de nouvelle victoire de Joe Biden.
Le mythe du sans-papiers qui vote
L’élection présidentielle est dans plus de six mois, mais la droite pro-Trump ne perd pas de temps pour semer le doute sur l’intégrité du scrutin. Cette semaine en a offert un bon exemple. Mercredi 8 mai, derrière un pupitre sur lequel on pouvait lire “Les Américains déterminent les élections américaines”, le “speaker” (président de la Chambre des Représentants) républicain Mike Johnson a appelé le Congrès à adopter une loi qui interdit aux immigrés en situation irrégulière de voter.
Johnson, l’un des artisans de la contestation des résultats de la présidentielle de 2020 au Parlement, était flanqué de plusieurs ténors “MAGA”, comme Stephen Miller, ancien conseiller de Donald Trump connu pour ses positions dures sur l’immigration, et de personnalités qui ont participé à la campagne pour maintenir Trump au pouvoir il y a quatre ans.
Dans l’ensemble, les médias se sont montrés dubitatifs envers cette initiative. Ils notent qu’il est déjà interdit pour les sans-papiers de participer aux élections américaines et que le nombre de cas de fraude est extrêmement faible - peut-être parce qu’ils risquent l’expulsion du territoire s’ils sont pincés ? Certes, Mike Johnson a reconnu que c’était “déjà un crime” pour les non-citoyens de voter, mais il est resté droit dans ses bottes: “Nous savons tous, intuitivement, que beaucoup de clandestins votent dans les élections fédérales”, a-t-il dit sans avancer de chiffres.
Il a aussi affirmé que le texte, qui n’a aucune chance d’être adopté par le Sénat, aux mains des Démocrates, n’était pas qu’un simple “messaging bill”, une proposition de loi qui plus vocation à faire un coup de com’ que d’entrer en application. “C’est l’un des documents législatifs les plus importants que nous présenterons de nos vies, de nos carrières parlementaires”, a-t-il rétorqué lors d’une conférence de presse.
Les critiques ne l’entendent pas de cette oreille. Pour elles, le but de la manoeuvre est double: semer le doute sur l’intégrité du scrutin de novembre et mettre l’accent sur le laxisme de Joe Biden et des Démocrates sur le contrôle de l’immigration illégale, l’un des principaux sujets de préoccupation des électeurs. Une fois que les Démocrates au Sénat auront torpillé le texte, les Républicains pourront les accuser de vouloir autoriser les sans-papiers à voter. Dans leur logique, ces derniers sont acquis aux Démocrates et feront pencher la balance du pouvoir en leur faveur.
Dans le même temps, le Washington Post a montré que nombre de ténors républicains refusaient de s’engager à reconnaître l’issue de l’élection, preuve que le “Grand Mensonge” (“Big Lie”) sur le “vol” de l’élection présidentielle de 2020 a pris racine à droite. Outre Donald Trump, qui a laissé la porte ouverte à une contestation du résultat, le sénateur de Caroline du Sud, Tim Scott, l’un de ses possibles co-listiers, a botté en touche à six reprises quand la journaliste de NBC, Kristen Welker, lui a demandé s’il accepterait les résultats du 5 novembre. “C’est pour ça que tant d’Américains pensent que NBC est une extension du Parti démocrate”, s’est-il agacé.
Le Post note aussi que d’autres prétendants au poste de vice-président, comme le gouverneur de Dakota du Nord, Doug Burgum, et la députée de New York, Elise Stefanik, ont refusé de s’engager clairement. Il s’agit bien entendu de ne pas contrarier le “boss”, mais aussi de ne pas se mettre à dos la base du parti, devenue sceptique envers l’intégrité du système électoral. Et ce, alors que rien ne permet d’affirmer qu’une fraude généralisée a fait basculer l’élection en 2020.
Ces postures alarment les experts. Les actions et les propos de “négationnistes électoraux”, de droite comme de gauche, fragilisent les institutions démocratiques et ceux qui les représentent, comme me l’a expliqué Francisco Pedraza, professeur associé de science politique à l’Université d’Arizona, lors d’un reportage en 2022 dans cet État devenu le foyer de théories du complot sur l’élection de 2020. “Leur discours mine la confiance du peuple dans les représentants qui sont élus de manière légitime et favorise l’opposition aux politiques qu’ils mettent en œuvre. On peut avoir la meilleure Constitution au monde, mais sans l’accord tacite des citoyens de conférer l’autorité à leurs représentants, il ne saurait y avoir de confiance dans les leaders.”
La critique s’applique aussi à ceux, dans le camp démocrate, qui accusent les Républicains de pratiquer de la “suppression d’électeurs” en adoptant des réformes qui rendent plus compliquées la participation des minorités. “Mettre en doute les résultats des élections avant le début du vote augmente la possibilité d’un extrémisme violent. (Cela) sème le doute dans l’esprit des électeurs qui voient alors d’éventuelles défaites électorales comme une confirmation de fraude plutôt que comme un rejet de leur programme politique”, explique le think tank Council on Foreign Relations (CFR) dans un récent rapport sur la violence politique.
Le “Stop the Steal” version 2024
Il est impossible de dire ce qu’il se passera quand le résultat des élections sera dévoilé, mais plusieurs éléments sont sûrs. D’abord, le mouvement “Stop the Steal” de contestation des résultats de 2020 semble plus faible aujourd’hui. En effet, à l’issue des midterms (les scrutins législatifs de mi-mandat) de novembre 2022, où les Démocrates ont enregistré de bonnes performances, il n’y a pas eu d’épisodes de violence. Plusieurs “négationnistes électoraux”, comme la candidate au poste de gouverneure de l’Arizona, Kari Lake, ont été battus, signe que leur rhétorique extrême et déconnectée de la réalité sur ce sujet ne prend pas.
Il semblerait même que Donald Trump mette de l’eau dans son vin. Tout en remettant en cause l’intégrité du scrutin, il a encouragé ses partisans, sur son réseau Truth Social, à voter cette année par correspondance et à recourir à l’“early voting”, un dispositif qui s’est développé pendant la Covid-19 et permet d’exprimer son suffrage avant “Election Day” pour éviter ainsi de longues files d’attente. Il y a quatre ans, il considérait ces outils destinés à accroitre la participation électorale comme des sources de fraude.
Autre différence: fin 2022, le Congrès a adopté une loi, l’Electoral Count Reform and Presidential Transition Improvement Act (ECRA), qui vise à dissiper toute ambiguïté sur la comptabilisation par le Congrès des voix des “grands électeurs”, ces personnes chargées d’élire formellement le président en fonction du vote populaire dans leur État dans le cadre du Collège électoral. Elle confirme, par exemple, que le vice-président à un rôle purement administratif dans la procédure et ne peut donc pas intervenir pour remettre en question les résultats, comme Donald Trump et ses avocats ont pressé Mike Pence à le faire lors de la certification du 6 janvier 2021. L’autre changement majeur du texte, c’est qu’il établit un processus par lequel chaque État ne peut envoyer qu’une seule liste de votes de “grands électeurs” pour comptabilisation par les parlementaires. Le but: empêcher que circulent des documents de “faux grands électeurs” (“fake electors”), comme ceux qu’on a vus provenir de plusieurs États-pivots en 2020 (Michigan, Arizona…) en faveur de Donald Trump.
Une stratégie offensive
Cependant, plusieurs risques subsistent, comme les intimidations aux abords des bureaux de vote de la part d’individus ou de groupes plus ou moins organisés, à l’image de True The Vote, qui se décrit comme “un leader dans l’effort pour assurer que le système électoral est libre et juste”. Tout en propageant l’idée fausse que les sans-papiers peuvent voter en masse, il invite les citoyens ordinaires à s’investir pour régler ce non-problème. Or, c’est souvent ce genre de justiciers auto-proclamés qui peuvent intimider les électeurs. On l’a vu lors des “midterms” de 2022 en Arizona, quand des hommes armés encagoulés, en gilets pare-balles, sont venus surveiller certains lieux de vote.
De son côté, Lara Trump, la belle-fille du milliardaire et nouvelle co-présidente du RNC (Republican National Committee), l’instance dirigeante du Parti républicain national, veut recruter des bataillons d’observateurs et d’avocats volontaires pour surveiller les opérations de vote et de comptage. Vu que Christina Bobb, une ancienne avocate de Donald Trump qui a participé à la tentative présumée d’inversion des résultats de la présidentielle de 2020, a été embauchée par le RNC comme conseillère juridique sur les questions d’intégrité électorale, on peut s’attendre à ce que les Républicains se mettent en mode offensif.
Car une chose est sûre: rappelons que Donald Trump joue sa survie judiciaire pendant cette campagne. En effet, en cas d’échec, il ne pourra pas enterrer les différentes poursuites engagées contre lui au niveau fédéral (attaque du Capitole, gestion des archives confidentielles de la Maison-Blanche…). Il y a donc peu de chances pour qu’il s’en aille tranquillement !
Bien qu’il ne dispose plus des leviers institutionnels ni de l’influence qu’il avait en 2020, il représente une menace suffisamment sérieuse pour que l’équipe de Biden se mette en branle. D’après le magazine Rolling Stone, elle travaille à constituer un réseau d’avocats dans les États-pivots pour contrecarrer toute manœuvre du camp trumpiste. Elle a notamment établi une longue liste de scénarios auxquels pourraient recourir l’ex-businessman pour remettre en question la victoire du Démocrate, comme le refus d’États gouvernés par les Républicains de reconnaître les résultats.
“Trump n’aura pas les instruments qu’il avait en 2020. Il ne pourra pas ordonner à l’armée d’intervenir par exemple. Mais ses partisans pourraient se montrer violents”, a raconté l’ex-député Adam Kinzinger, rencontré en février au sommet Principles First à Washington. Anti-Trump notoire, cet ancien militaire était, avec Liz Cheney, le seul membre républicain de la commission parlementaire chargée de faire la lumière sur l’attaque du Capitole. “Il ne faut pas oublier que l’idée de révolte fait partie de l’ADN des États-Unis. Si quelqu’un considère au fond de lui que l’élection a été volée, la violence est une réponse possible. C’est ce qui me fait peur. 2024 pourrait être chaotique”.
Il se peut aussi que le questionnement du système électoral se retourne contre Donald Trump. Pourquoi ses supporteurs iraient-ils voter s’ils ne sont pas sûrs que leur vote sera compté ? Lors d’un reportage en Géorgie sur les deux sénatoriales qui se déroulaient en janvier 2021 dans cet État clé, j’avais rencontré plusieurs partisans trumpistes qui ne voyaient pas l’intérêt de se rendre aux urnes car ils étaient convaincus que les dés étaient pipés. Les candidats républicains en lice s’étaient inclinés cette année-là, malgré le soutien de Trump. C’est ce qui s’appelle se faire pendre à sa propre théorie du complot.
On se donne rendez-vous ?
Si vous êtes à New York le samedi 18 mai, passez me faire “coucou” au Festival international des Auteurs francophones qui se déroule au restaurant OCabanon à Manhattan (245 West 29th Street). J’y serai de 14h à 19h pour dédicacer ma biographie de la vice-présidente Kamala Harris, Kamala Harris, l’héritière. Ce festival annuel est organisé par Sandrine Mehrez Kukurudz, une Française de New York, dans le cadre de son réseau Rencontre des auteurs francophones. Le réalisateur Benoît Cohen sera de la partie. Formule cash bar pendant l’événement. Venez nombreux !
Bravo Alexis pour cette fine et remarquable analyse sur les risques d'une nouvelle contestation de la présidentielle. Et merci pour la démonstration - une fois de plus - de la combativité des journalistes anglo-saxons (Yes or No?) en interview. Très inspirant, comme disent les Américains.