L'heure des retournements de veste
Les maires Eric Adams et Mike Duggan ont ouvert le bal.
Ce “Caucus” est historique ! C’est la première fois que je l’écris depuis Indianapolis (Indiana), au chaud chez mes beaux-parents. La ville n’est pas seulement la patrie de la fameuse course automobile Indy 500, elle est aussi celle de Benjamin Harrison, le vingt-troisième président des États-Unis de 1889 à 1893. Si vous êtes de passage, allez visiter sa demeure, où j’ai pris cette photo en 2021.
Nous rentrons dans quelques jours à New York, où le maire, Eric Adams, a fait parler de lui vendredi matin. Il participait à une interview sur la chaine locale NY1 pour évoquer de son plan de construction de 80 000 logements. Mais c’est un autre sujet, abordé dans les trente dernière secondes de l’entretien, qui a fait du bruit. Quand la journaliste Jamie Stelter a demandé au Démocrate s’il comptait rejoindre le Parti républicain, dont il était membre dans les années 1990, il n’a pas écarté la possibilité. “Le parti le plus important pour moi, a-t-il répondu, est le parti américain”.
Eric Adams n’est pas le seul à remettre en question son affiliation partisane dans le sillage de la victoire de Donald Trump. Quelques jours plus tôt, Mike Duggan, le maire démocrate de Detroit, un bastion de la gauche, a annoncé qu’il se présenterait au poste de gouverneur du Michigan en 2026 en tant qu’indépendant.
Le cas des deux hommes est loin d’être isolé. La liste des principaux ministres potentiels de Donald Trump compte au moins deux transfuges: Robert F. Kennedy Jr., qui s’est présenté en candidat indépendant à la présidentielle avant de rejoindre le milliardaire, et l’ex-députée Tulsi Gabbard. Dans “Le Caucus” du jour, nous nous intéressons à ces personnalités politiques qui décident de changer de camp.
2023-2024, la saison des girouettes
Changer de parti n’est pas une pratique nouvelle, y compris au plus haut niveau. Le vice-président John Tyler, au XIXème siècle, en fut l’un des premiers exemples. Rappelons que, avant de devenir présidents, Ronald Reagan et Donald Trump étaient inscrits au Parti démocrate. Le premier a eu cette phrase célèbre pour justifier son revirement: “je n’ai pas quitté le parti, c’est le parti qui m’a quitté”.
Les membres du Congrès ne sont pas en reste. En 2022, la sénatrice démocrate centriste de l’Arizona Kyrsten Sinema est devenue indépendante en plein mandat, au risque de fragiliser la très courte majorité qu’avait son parti au Sénat. Son collègue de Virginie Occidentale, Joe Manchin, qui occupait le même positionnement, en a fait de même en mai 2024 après cinquante-six ans passés au sein de sa famille politique. Il a justifié sa décision par la montée des extrêmes dans les deux partis et la difficulté des Démocrates et Républicains à faire des compromis.
Au niveau des parlements fédérés, quarante-neuf sénateurs d’États et cent-trente-deux députés ont changé de formation politique entre 1994 et décembre 2024 d’après le site Ballotpedia. Les Républicains ont le plus bénéficié de ces changements. Quatre-vingts-neuf parlementaires démocrates sont devenus membres du “Grand Old Party” (GOP) sur cette période. Seuls vingt-trois ont fait le chemin inverse.
Parmi ceux qui sont passés de gauche à droite, on trouve l’ancienne présidente du Sénat de Californie, Gloria Romero, dont l’annonce a fait l’effet d’une bombe dans le Golden State. “Aujourd’hui, je dis ‘au revoir, adios’, j’en ai assez. Je rejoins aujourd’hui le nombre croissant de Démocrates de longue date qui quittent le parti, a-t-elle déclaré en septembre. Ce n’est plus le parti que j’ai défendu autrefois. Je ne le reconnais plus et je ne peux pas continuer. J’ai modifié mon inscription sur les listes électorales aujourd’hui pour rejoindre le Parti républicain, devenu, sous Donald Trump, le champion des travailleurs… Je voterai pour lui cet automne”.
La tendance a pris de l’ampleur. En 2023, année pré-électorale, le nombre de parlementaires fédérés ayant changé d’étiquette s’est élevé à onze. En 2024, il était de sept. En 2022, il n’était que de… deux. Les conséquences peuvent être lourdes. En Caroline du Nord, la défection l’an dernier de la députée démocrate Tricia Cotham a donné aux Républicains une “super-majorité” à l’assemblée législative de l’État, une situation de domination qui les a mis en position de casser le véto du gouverneur démocrate et ainsi d’ouvrir la voie à l’adoption de restrictions sur l’accès à l’avortement, par exemple.
Des raisons variées
Calcul politique ou différends profonds sur l’évolution du parti: les raisons qui poussent ces élus ou personnalités politiques à virer de bord sont diverses et variées. On peut y voir cependant l’une des conséquences de la polarisation politique actuelle, favorisée par le découpage partisan des circonscriptions électorales (“gerrymandering”). En effet, en 2022, le Brennan Center for Justice, institut proche de la gauche, a trouvé que le nombre de territoires compétitifs (susceptibles d’être remportés par un camp ou l’autre) était à son plus bas niveau en cinquante-deux ans. Le groupe civique Fair Vote a fait un constat similaire dans un rapport publié l’année suivante. Cinq sièges sur six au sein de la Chambre des Représentants ont été gagnés avec plus de dix points d’écart. La même évolution se retrouve au niveau des circonscriptions parlementaires fédérées. Quant à la présidentielle, le nombre de “swing states” a grandement baissé ces dernières décennies, signe que les opinions partisanes sont difficiles à faire évoluer.
Dans ce contexte, les membres du parti minoritaire peuvent être tentés de changer de bord pour accroitre leur chance de succès. C’est ce qu’a fait Jim Justice, un Démocrate conservateur qui a remporté en 2016 le siège de gouverneur de Virginie Occidentale, un État très républicain. Huit mois après sa victoire, il a décidé de rejoindre les rangs du GOP lors d’un meeting avec Donald Trump.
Il n’est pas difficile de voir pourquoi Eric Adams, le maire de New York, laisse entendre qu’il serait ouvert à re-devenir républicain. Bien que solidement à gauche, la “Grosse Pomme” est devenue plus “rouge” (couleur du GOP) en 2024. Par ailleurs, l’élu s’est senti abandonné par la Maison-Blanche de Joe Biden au moment où la ville était confrontée à une crise d’accueil des migrants. Certains murmurent encore qu’Adams, inquiété par la justice, chercherait à être gracié par Donald Trump. Même si rien n’indique qu’il changera de camp, l’annonce du maire de la ville la plus peuplée du pays envoie le signal que les Démocrates sont fragiles.
Dans le Michigan, Mike Duggan doit aussi composer avec un électorat qui a basculé à droite depuis que Joe Biden a remporté l’État en 2020. Dans son annonce de campagne, il a plaidé pour “une nouvelle approche” et rappelé qu’il avait soutenu les droits des populations LGBT mais s’était aussi opposé au mouvement “Defund The Police” (suppression des budgets des forces de l’ordre) porté par des militants de la gauche de la gauche à la suite de la mort de l’Afro-Américain George Floyd en 2020. Un pari gagnant ? Réponse en novembre 2026, date de l’élection. D’ici là, les Démocrates auront peut-être retrouvé les faveurs de l’électorat.