Oui, Trump fait une bonne campagne
Leçons de la visite du milliardaire dans un quartier pauvre et démocrate du Bronx.
Ce n’est pas tous les jours que l’on voit des casquettes rouges “MAGA” (“Make America Great Again”) dans les rues du South Bronx, l’un des quartiers les plus défavorisés de New York. Et pourtant, cette scène surréaliste s’est produite jeudi 23 mai. Sur l’herbe mouillée du parc Crotona, situé au coeur de cette zone largement hispanique et afro-américaine qui avait autrefois la réputation d’être l’un des coins les plus violents du pays, l’ex-président milliardaire a tenu un meeting inédit.
Contrairement à de nombreux autres rassemblements trumpistes que j’ai couverts, majoritairement composés de blancs plutôt âgés, la foule de jeudi était diverse et relativement jeune - des noirs, des blancs, des hispaniques, des asiatiques et un contingent non-négligeable de juifs orthodoxes. Sans les drapeaux “Trump 2024” et les images du “mug shot” du Républicain inculpé dans quatre affaires criminelles, brandies fièrement comme autant de bras d’honneur à la justice, on se serait cru dans un meeting démocrate !
“Avec le temps, je constate que l’hostilité des personnes non-blanches envers Trump se réduit”, m’a raconté Rocky Granata. Résident du New Jersey (État voisin de New York), ce militant enchaîne les meetings du Républicain depuis sept ans, à bord d’un énorme camping-car décoré de bannières à la gloire de l’ex-président. Pour lui, la raison du changement est simple: “sur le plan économique, la situation des minorités ne s’améliore pas sous les Démocrates. Dans le même temps, ils voient la criminalité se répandre et les migrants être logés dans des hôtels cinq étoiles quand ils arrivent à New York ! Ils sont ouverts à une alternative”.
Au-delà, le rassemblement bronxite illustre une réalité indéniable: Donald Trump fait une meilleure campagne qu’en 2016 et 2020. Voici pourquoi.
En procès et en campagne
Le candidat est contraint de passer presque tous les jours de la semaine au tribunal de Manhattan, où il est poursuivi pour avoir cherché à dissimuler des paiements versés à la star du X, Stormy Daniels, en contrepartie de son silence sur une relation sexuelle présumée avant la présidentielle de 2016. Il a habilement transformé ce défi en avantage en décidant de faire campagne dans sa ville natale de New York, un bastion démocrate. Avant de faire surface dans le Bronx, il a visité le mois dernier une épicerie dans le quartier dominicain de Washington Heights dont le propriétaire a été brièvement mis en prison pour avoir tué un homme dans un acte de légitime défense.
Objectif du Républicain: mettre en lumière le laxisme du procureur démocrate Alvin Bragg (qui le poursuit dans l’affaire des paiements secrets) face à la hausse de la criminalité.
Tôt un matin d’avril, avant de se rendre au tribunal, il est également parti à la rencontre d’ouvriers travaillant sur un chantier à Manhattan afin de cultiver son image de défenseur des classes populaires abandonnées par la gauche. Il en a profité pour répéter sa volonté de remporter l’État de New York en novembre, exploit que n’a réalisé aucun républicain depuis Ronald Reagan en 1984.
Il y a peu de chances pour qu’il y parvienne, mais ces différents événements envoient des signaux importants. En effet, la Grosse Pomme est décrite dans la média-sphère de droite comme une zone de non-droit, submergée par les sans-abri, les drogués, les délinquants, les handicapés mentaux et maintenant les immigrés illégaux. En faisant campagne dans cette ville qu’il “ne reconnait plus”, le milliardaire du Queens pointe les défaillances du pouvoir démocrate et montre qu’il n’a pas peur de défier la gauche sur ses terres. Ce qui renforce son image de battant.
Son rassemblement dans le Bronx en est l’illustration parfaite. Dans cet arrondissement ayant voté à plus de 83% pour Joe Biden en 2020, qui cumule les défis sociaux, économiques et environnementaux, il s’est posé en champion d’une économie qui profite à tous les groupes raciaux et éthniques. Il a aussi parlé des problèmes que rencontrent au quotidien les ménages les plus modestes - l’inflation, la criminalité, la propreté des parcs, l’insécurité dans le métro… - et évoqué la peur des communautés défavorisées de New York de voir les ressources de la ville redirigées vers l’aide aux migrants arrivant en masse du Mexique, phénomène imputé à l’inaction de Joe Biden. “Les populations noires et hispaniques sont en train de se faire ravager. Ce sont elles qui souffrent le plus de l’afflux de millions et de millions de migrants car elles perdent leurs emplois, leurs logements et tout le reste”. Surtout, c’est assez rare pour être souligné, il a promis de travailler avec le maire Eric Adams et la gouverneure de New York, Kathy Hochul, deux Démocrates, pour aider la ville à surmonter ces défis. Une déclaration inattendue de la part d’un homme qui a aussi décrit le camp adverse comme des “communistes” et des “marxistes”.
Cette opération de communication réussie montre qu’il peut être en mesure d’élargir sa base électorale alors que celle de Joe Biden tend à s’éroder à l’épreuve du pouvoir. Sa stratégie de s’afficher en terrain défavorable tranche avec celle du Démocrate, qui donne le sentiment de ne pas vouloir se mettre en danger et de se calfeutrer dans le confort du pouvoir - le risque qui guète tout candidat à sa propre ré-élection. D’après les statistiques de la White House Transition Project citées par The Guardian en février, le président n’aurait donné que 86 entretiens à la presse depuis son entrée en fonction, contre 300 pour Trump et 422 pour Obama au même stade de leur présidence. Il a notamment renoncé à participer à une interview lors du dernier Super Bowl alors que c’est l’événement télévisé le plus suivi de l’année. En outre, le Démocrate de 81 ans donne moins de conférences de presse. Or, dans un environnement médiatique qui avantage Donald Trump, il doit prendre des risques s’il veut faire passer son message. Son adversaire à la niaque, Biden doit le montrer aussi.
Une campagne “mieux huilée”
Au lendemain du meeting dans le Sud-Bronx, j’ai contacté Charlie Gerow, un stratège républicain basé en Pennsylvanie que j’appelle de temps à autre pour avoir sa perspective sur la campagne. Il était enthousiaste. “Même si Donald Trump est condamné dans l’affaire des paiements (les plaidoiries auront lieu mardi 28 mai, ndr), cela ne changera rien. Le soutien continue à grandir, en particulier au sein des minorités. Il va s’imposer facilement en novembre”, assure-t-il. Bien entendu, la course est encore longue, et l’avantage du Républicain dans les sondages peut être un trompe l’oeil, mais pour le consultant, une chose est claire: la campagne de Trump 2024 est beaucoup “mieux huilée”.
Il est vrai que l’équipe actuelle est plus rigoureuse. Les fuites dans la presse sont moins nombreuses qu’en 2020, les rivalités internes moins évidentes, les égos plus discrets. Sur le terrain, l’organisation est plus efficace. Le changement est mis sur le compte du recrutement de plusieurs professionnels réputés pour leur discipline et leur discrétion, à l’image de Susie Wiles, une influente conseillère qui a aussi travaillé pour le gouverneur de Floride, Ron DeSantis, et son prédécesseur, Rick Scott, ainsi que d’autres élus du “Sunshine State”. Autre ajout: Chris LaCivita, un ancien militaire et conseiller de premier plan qui est intervenu pour modifier les règles d’attribution des votes des primaires dans différents États afin d’avantager Donald Trump dans la marche vers l’investiture.
En Iowa, et dans les primaires et caucus ultérieurs, ce dernier a survolé la concurrence alors que deux ans plus tôt, les candidats qu’il soutenait pendant les midterms de 2022 ont été défaits et Ron DeSantis était vu comme le futur du parti. Certes, ses ennuis judiciaires et la faiblesse de ses adversaires ont joué un rôle dans son retour en grâce, mais l’organisation de sa campagne y est aussi pour quelque chose. “Donald Trump ne prend rien pour acquis cette année”, m’a raconté David Kochel, un consultant politique républicain basé à Des Moines (Iowa) à qui j’ai parlé en janvier dernier, juste avant les caucus dans cet État très conservateur. “L’opération est plus sophistiquée qu’avant. L’accent est mis sur la formation des volontaires pour maximiser la participation au vote et le recrutement de responsables pour mobiliser les électeurs dans tous les bureaux de vote”.
Un message politique modéré sur certains sujets
Donald Trump n’est pas plus modéré qu’en 2020. Au contraire. Alors que la prison lui pend au nez, il a adopté un discours plus violent et autoritaire, qualifiant notamment ses opposants politiques de “vermine” et accusant les migrants d’“empoisonner le sang du pays”. La récente controverse sur la mention d’un “reich unifié” dans une vidéo pro-Trump re-postée sur son compte Truth Social (et supprimée depuis) a relancé les peurs de ses détracteurs qui le voient comme un dictateur en herbe et une menace pour la démocratie.
Mais sur certains sujets, l’électron libre politique qu’il est se montre plus mesuré, quitte à prendre le contre-pied de son propre parti. Ainsi a-t-il pris ses distances sur le débat autour du “wokisme”, s’interrogeant même ouvertement sur le sens de ce mot que “la moitié des gens ne peut pas définir”. Il a mis en garde les Républicains contre la tentation de vouloir refondre le système public de retraite et réduire la voilure de Medicare, la très populaire assurance santé fédérale pour seniors. Quant à la réforme du système de santé “Obamacare”, il n’est plus question de l’éliminer, comme en 2016, mais de rendre le dispositif plus efficace et moins coûteux.
Enfin, il a renoncé à l’idée de faire adopter une loi interdisant l’accès à l’avortement dans tout le pays après quinze semaines de grossesse, l’un des chevaux de bataille du mouvement anti-IVG depuis la fin de l’arrêt “Roe v. Wade”. Au lieu de cela, il a plaidé pour que les États fixent eux-mêmes leur propre politique en la matière, ce qui veut dire que l’avortement resterait légal dans les endroits qui le protègent. Cette prise de position lui a valu d’être vertement critiqué par les militants “pro-life”, partie importante de sa coalition. Ce positionnement dénote une volonté de s’éloigner de certaines des positions les plus extrêmes de son parti en vue de l’élection générale. Reste à voir si les électeurs le croiront.
Les adversaires d’hier se rangent
Malgré ses problèmes judiciaires, l’ancien président a continué à engranger les soutiens politiques et financiers de taille, y compris de la part de gens qui lui étaient férocement opposés il y a peu. C’est le cas de Nikki Haley, son adversaire aux primaires, qui a déclaré mercredi dernier qu’elle voterait pour lui en novembre alors qu’elle remettait en question son acuité mentale il y a encore quelques mois.
Vendredi 24 mai, le site d’information Axios a indiqué que le milliardaire républicain Stephen Schwarzman, Pdg de la firme d’investissement Blackstone, qui avait dans le passé appelé à l’émergence d’une nouvelle génération de leaders, a décidé de lui ouvrir son portefeuille bien garni. “Je partage l’inquiétude de la plupart des Américains quant au fait que nos politiques économiques, migratoires et étrangères conduisent le pays dans la mauvaise direction. Pour ces raisons, j’ai l’intention de voter pour le changement et soutenir Donald Trump à la présidence”, a-t-il confié à Axios.
La palme du retournement de veste revient à Bill Barr, l’ancien procureur général des États-Unis nommé par Trump. Après avoir dit que l’ancien président ne devrait pas être autorisé à s’approcher du Bureau Ovale, il a annoncé sur la chaîne CNN qu’il voterait pour lui car “il fera moins de dommage que Biden pendant quatre ans”. On vous prévient: la séquence est un peu gênante.
Voir des opposants ou simples critiques du 45ème président se ranger derrière lui, que ce soit Nikki Haley, Bill Barr ou un ex-électeur démocrate afro-américain du Bronx, a un effet puissant. Cela donne la permission à d’autres individus hésitants de rejoindre le mouvement. Pour Charlie Gerow, le consultant de Pennsylvanie, “sa machine de campagne ne peut que monter en puissance d’ici novembre. C’est une élection très différente par rapport à 2020”.
Pause en juin
Ma femme Cassandra et moi attendons un heureux événement pour début juin ! Je continuerai à écrire “Le Caucus” tant que c’est possible, mais après la naissance de notre enfant, je prévois de mettre l’info-lettre en veilleuse jusqu’à la fête de l’Indépendance américaine, le 4 juillet, pour me concentrer sur ma petite famille. Je reprendrai du service après pour couvrir la convention républicaine à Milwaukee (Wisconsin), où je serai présent pour tout vous raconter de l’investiture de Donald Trump. D’ici là, encore un grand merci pour votre fidélité.