Quelle sortie pour Nikki Haley ?
"Super Tuesday", mardi 5 mars, aura des allures de baroud d'honneur pour la rivale de Donald Trump.
L’issue du “Super Tuesday”, ce mardi 5 mars, ne fait aucun doute. Au terme de ce “big bang” électoral, où quinze États et territoires tiendront leurs primaires côté démocrate et seize côté républicain, Joe Biden et Donald Trump devraient se rapprocher du seuil de délégués nécessaire pour décrocher l’investiture.
La grande question de la soirée sera: que va faire Nikki Haley ? La dernière rescapée du raz-de-marée trumpiste se maintiendra-t-elle ? Se rangera-t-elle derrière l’homme qui l’a appelée “cerveau d’oiseau” (“bird brain”) ? Explorons quelques scénarios dans ce nouveau numéro du Caucus.
L’heure du choix a sonné
Bien sûr, il n’est pas impossible que Nikki Haley reste en course après “Super Tuesday” car l’ex-gouverneure de Caroline du Sud a encore de l’argent - elle a annoncé avoir levé 12 millions de dollars en février. Mais plusieurs signaux laissent penser que mardi sera son baroud d’honneur. Premièrement, elle a perdu son principal soutien financier, Americans for Prosperity Action. Ce groupe d’action politique (PAC) conservateur compte parmi les plus puissants des États-Unis. En plus de fonds, il a fourni à la candidate des moyens humains pour contacter les électeurs, notamment via des opérations de porte-à-porte. Mais après sa défaite face à Donald Trump en Caroline du Sud, le 24 février, l’organisation a annoncé qu’elle ne croyait plus qu’un “groupe extérieur puisse faire une quelconque différence matérielle pour élargir son chemin vers la victoire” et lui a souhaité bon vent.
Deuxièmement, le calendrier joue en sa défaveur. Après “Super Tuesday”, il n’y a presque plus de primaires dites “ouvertes”, où les non-Républicains sont autorisés à voter. Or, Nikki Haley enregistre de meilleurs scores dans ce type de scrutin car elle parvient à drainer un électorat indépendant conséquent. Donald Trump devrait ainsi franchir le seuil de délégués nécessaire à l’investiture (1 215) autour de la mi-mars. Sa rivale, elle, n’est pas en mesure de nommer un État où elle pourrait s’imposer.
Les échéances judiciaires ne vont pas non plus dans le sens de l’ancienne ambassadrice à l’ONU. En effet, aucun procès pénal de son adversaire n’a encore démarré, la privant d’une arme supplémentaire pour se poser en alternative. Bref, comme le souligne Brent Nelsen, professeur de sciences politiques à l’université Furman (Caroline du Sud), “sa seule chance, c’est qu’il arrive quelque chose de dramatique à Donald Trump et que la convention républicaine, qui se réunira en juillet pour investir le candidat du parti, la sélectionne pour le remplacer”.
Se ranger derrière Trump
Quelques mois après avoir assuré qu’elle soutiendrait le candidat du parti, quel qu’il soit, elle a mis de l’eau dans son vin. Se ranger derrière Donald Trump aurait pourtant le plus de sens sur le plan politique. Au final, l’ancienne gouverneure reste membre du “Grand Old Party” (GOP) et, si elle veut exister dans cette formation dominée par l’aile trumpiste, c’est certainement le choix le plus stratégique. D’ailleurs, il est intéressant de noter que, même si elle a décidé de hausser le ton contre l’ex-homme d’affaires ces dernières semaines (en critiquant ses trous de mémoire, son âge, son casier judiciaire…), elle se ménage aussi la possibilité de se rallier le moment venu. Pas plus tard que mardi dernier, en meeting au Colorado, elle a répété qu’elle pensait que “Joe Biden était pire que Donald Trump”. Vendredi, elle a précisé qu’elle n’était “pas anti-Trump”. Autrement dit, il ne faut pas s’attendre à la voir faire campagne aux côtés du président démocrate, comme le sénateur de l’Utah, Mitt Romney, ou l’ancienne députée du Wyoming, Liz Cheney.
Donald Trump aurait intérêt à obtenir son soutien. Même s’il a réalisé un sans-faute pendant les primaires et les caucus qui se sont tenus jusqu’à présent, les scrutins successifs ont montré qu’une part non-négligeable de Républicains modérés et d’Indépendants n’étaient pas prêts à le soutenir (entre 30 et 40%). Or, il ne pourra pas s’en passer lors de l’élection générale. L’appui formel de Haley pourrait l’aider. “Il va être intéressant de voir comment Trump et ses équipes la traiteront: vont-ils la rejeter ou, au contraire, tenter de la ramener dans le giron ? Leur comportement déterminera la place future qu’occuperont les gens comme Nikki Haley au sein du parti ainsi que la santé de notre formation politique sur le long-terme”, m’a confié Heath Mayo, le fondateur de Principles First, le sommet des Républicains modérés dont je vous parlais la semaine dernière.
Ce n’est pas gagné. Depuis le début de la campagne, les partisans du 45e président la considèrent comme une traîtresse et ne se gênent pas pour le dire. « Elle a promis qu’elle ne se présenterait pas face à Donald Trump. Mais elle l’a fait quand même alors qu’il l’a toujours soutenue - il l’a nommée ambassadrice à l’ONU en 2017. Elle a menti et perdu toute crédibilité à nos yeux », m’a raconté une responsable républicaine en Caroline du Sud, pour qui la décision de Nikki Haley de rester dans la course des primaires “va endommager ses perspectives de carrière”.
Le bras d’honneur
Si elle ne se rangeait pas derrière le leader du GOP, elle serait en phase avec le ton de sa campagne, axée sur le changement de génération politique, et les positions de ses supporters, parmi lesquels on trouve de nombreux « Never Trumpers » (les fameux « Tout sauf Trump » qui représentent un quart des Républicains). En interviewant ses électeurs en Iowa, dans le New Hampshire et en Caroline du Sud depuis janvier, j’ai constaté une forte hésitation de leur part à voter pour Joe Biden en cas de nouveau duel contre Trump lors de l’élection générale du 5 novembre. Cependant, je pense que la majeure partie d’entre eux finira par choisir le Démocrate, comme ils l’ont fait en 2020. En effet, la base de l’ancienne ambassadrice est plus diplômée, urbaine et modérée que celle de Donald Trump et voit ce dernier comme un agent de chaos et une menace pour la démocratie. Certes, ils n’aiment pas Joe Biden, mais ils exècrent le milliardaire new-yorkais plus que tout et rien ne pourra les faire changer d’avis à son égard.
C’était très clair au sommet de Principles First, qui s’est tenu les 24 et 25 février à Washington. Plusieurs intervenants ont appelé à voter pour le Démocrate (et ont été applaudis pour leur prise de position). “Trump n’est candidat que pour satisfaire son ego et rester en dehors de prison”, m’a dit par exemple Matthew Callan, l’un des participants. Il trouve Biden trop “dépensier” mais votera pour le président sortant en novembre. “Si Trump est élu, ce sera la fin des États-Unis tels que nous les connaissons”. “On peut revenir sur de mauvaises politiques, mais pas sur un changement de régime”, s’est justifié un autre.
Une position intermédiaire
Nikki Haley pourrait aussi adopter une position intermédiaire en apportant son soutien à Donald Trump sans pour autant faire activement campagne pour lui. Et ainsi attendre tranquillement qu’il perde l’élection de novembre ou s’enferre dans ses problèmes judiciaires. Quand le jour viendra, elle sera en mesure d’affirmer “je vous l’avais bien dit” et de se positionner comme l’une des figures de la reconstruction. “Elle se prépare déjà pour 2028”, assure Brent Nelsen.
C’est la stratégie que semble avoir adoptée Ron DeSantis, le gouverneur de Floride, qui s’est retiré de la course à l’investiture après les caucus de l’Iowa, en janvier. Après avoir publiquement appelé à soutenir Donald Trump, il n’a plus été en contact avec l’équipe de l’ancien président, ne serait-ce que pour demander comment il pouvait lui être utile, selon la chaîne d’information CNN. Pis, il a fait savoir lors d’un appel avec deux cent alliés politiques qu’il était ouvert à une nouvelle candidature en 2028 et en a profité pour critiquer la stratégie de son ancien rival, son bilan et les médias conservateurs, accusés d’avoir fait le jeu de Trump.
Le niveau d’implication et d'enthousiasme de Nikki Haley dans la campagne de ce dernier dépendra en partie de son score lors du “Super Tuesday”. Dans un article publié sur le site Politico, mercredi 28 février, le chercheur et auteur Henry Olsen indique que si elle remporte les primaires dans cinq États, son camp aura la possibilité de s’exprimer publiquement pendant la convention nationale du parti, en juillet, et potentiellement semer la discorde dans ce qui est considéré comme un moment d’unité et de rassemblement derrière le candidat. Une perspective que Trump veut éviter. D’après Henry Olsen, cela placerait Haley en position de négocier avec lui et d’obtenir des garanties sur les sujets qui lui sont chers, comme le maintien des États-Unis dans l’OTAN. Encore faut-il qu’elle s’impose dans cinq États…
Une candidature indépendante ?
Nikki Haley est citée comme la recrue idéale de No Labels, un groupe centriste qui cherche à monter un “ticket d’unité” (unity ticket) en présentant un candidat et un co-listier issus des deux grands partis. Le groupe doit décider le 8 mars prochain s’il participera à la prochaine présidentielle. Joe Cunningham, le président de l’organisation, s’est dit « très intéressé » par l’ex-diplomate lors d’une interview sur Fox News, le 26 février. Rien n’indique cependant que l’intéressée sautera le pas. “J’ai été une républicaine conservatrice toute ma vie. Ce n’est pas pour avoir un vice-président démocrate, a-t-elle dit à son tour sur Fox News. Mon coeur a toujours été avec le Parti républicain et ce pays. Je ne vais pas changer”. De plus, la démarche aboutirait vraisemblablement à priver Joe Biden de voix face à Donald Trump. Un cadeau qu’elle n’a certainement pas envie de faire à l’homme qui s’est moqué de son apparence et a sous-entendu que son mari ne pouvait pas la supporter.
La route s’arrête en Floride
J’écris cette newsletter de Miami, où je passe quelques jours avant “Super Tuesday”. Je voulais en profiter pour rendre hommage à mon fidèle compagnon de reportage: mon sac à dos. Cela fait des années que je le maltraite. Après m’avoir accompagné dans le froid de l’Iowa, le désert de l’Arizona, la ruche urbaine de New York et les fermes du Wisconsin, il a rendu l’âme jeudi en Floride après un problème de fermeture éclair fatal. Merci mon petit sac, je ne t’oublierai pas…
Une analyse détaillée, claire,, informée..et j'aime le mot humoristique de la fin.