Trump condamné, le saut dans l'inconnu
Et aussi: "Le Caucus" fait une pause en juin
Si vous avez lu “Le Caucus” de la semaine dernière jusqu’au bout, vous savez que je prévois de le mettre en pause en juin. Ma femme et moi attendons un heureux événement (prévu pour la semaine prochaine). J’ai donc décidé de prendre un mois de congés. Je serai de retour après la Fête de l’indépendance américaine, le 4 juillet, à temps pour couvrir la convention nationale républicaine à Milwaukee (Wisconsin). Vous allez me manquer, mais c’est pour la bonne cause !
L’actualité politique de la semaine, c’est la condamnation de Donald Trump par un jury populaire à Manhattan. Jeudi 30 mai, le Républicain a été reconnu coupable de 34 chefs d’accusation pour avoir influencé l’élection de 2016 en maquillant des documents comptables afin de dissimuler des transactions ayant servi à soudoyer une actrice porno avec qui il aurait eu une liaison extra-conjugale. Jamais un ancien président (qui est aussi candidat présumé à la Maison-Blanche avec une bonne chance de victoire) n’avait été ainsi sanctionné dans une affaire criminelle.
Devant le palais de justice de Manhattan, où opposants et partisans du milliardaire s’étaient rassemblés après le verdict, plusieurs “anti-Trump” m’ont fait part de leur joie, mais aussi de leurs doutes face à l’impact qu’aura ce jugement sur le cours de la campagne. C’était notamment le cas de Dimitri Kavadis, un travailleur social de 28 ans portant un drapeau ukrainien sur le dos. “Pour être honnête, a-t-il confié, je suis sceptique que Biden sera réélu. Les Américains sont retranchés dans leurs opinions. La polarisation est telle qu’il va être difficile de les faire changer d’avis”.
A-t-il raison ? Aujourd’hui, dans “Le Caucus”, faisons le point sur ce qu’on sait et ce qu’on ne sait pas des ramifications électorales de ce jugement.
Un impact marginal, mais…
Les sondages de ces dernières semaines et mois nous disent que, des quatre affaires pénales dans lesquelles Donald Trump a été inculpé, ce procès est considéré comme le moins grave. Non retransmis à la télévision et s’appuyant sur des obscurs documents comptables, il est également moins lisible que, par exemple, une tentative de subversion d’une élection présidentielle. Il convient aussi de rappeler qu’un grand nombre d’Américains ne suivent pas les médias traditionnels ou les informations. Ils n’entendront parler de ce procès qu’à travers des clips circulant sur les réseaux sociaux et manquant de contexte.
Cependant, plusieurs études laissent penser que le verdict pourrait changer quelques opinions. Celle d’ABC News-Ipsos, réalisée le mois dernier, a ainsi montré que 20% des supporteurs de Donald Trump pourraient “revoir” leur choix s’il était reconnu coupable. D’autres enquêtes, recensées par le Washington Post et également réalisées avant le verdict, ont trouvé que Joe Biden passerait devant son rival ou accentuerait son avance au niveau national dans l’hypothèse d’une condamnation. Une petite partie (moins de 20%) des électeurs “indécis” ou “indépendants”, des groupes clés que se disputent les deux camps, ont aussi laissé entendre qu’ils seraient moins enclins à soutenir un candidat condamné dans une affaire criminelle.
Ces changements ont beau être marginaux, ils peuvent faire la différence dans le cadre d’une élection qui s’annonce serrée. En effet, celle-ci devrait in fine se jouer à quelques milliers de voix dans six “Swing States” (États-bascules). Le groupe démographique à surveiller dans les jours et les semaines qui viennent sera celui des électeurs démocrates de 2020 qui envisagent de voter Trump cette année dans ces États clés. D’après Nate Cohn, analyste politique au New York Times, ce segment restreint mais influent est composé de “jeunes, de non-blancs ou d’électeurs qui ne se rendent pas régulièrement aux urnes” et ne suivent pas les médias classiques.
Dans un récent article, il suggère que ces individus, moins loyaux à Donald Trump que ses supporteurs traditionnels, pourraient revenir dans le giron de Joe Biden avec la condamnation de jeudi dernier. “21% des jeunes électeurs de Donald Trump ont dit qu’ils soutiendraient Joe Biden en cas de condamnation, contre seulement 2% des supporteurs trumpistes de plus de 65 ans. De la même manière, 27% des électeurs noirs votant Trump se rangent derrière Biden, contre 5% des sondés blancs”, écrit-il, citant les chiffres issus du dernier sondage New York Times-Siena College.
Ces statistiques rassureront certainement les Démocrates inquiets des chances de ré-élection de Joe Biden, mais, comme toujours, ils doivent être pris avec des pincettes. Le verdict est tombé à un moment de la campagne où les Américains ne sont pas focalisés sur les scrutins de novembre prochain. De nombreux rebondissements peuvent encore se produire d’ici “Election Day”. Et comme il l’a montré dans sa conférence de presse du vendredi 31 mai à la Trump Tower, Donald Trump va s’employer d’ici là à délégitimer le jugement en parlant de procès “truqué” et en faisant croire que Joe Biden en a tiré les ficelles. Pour l’heure, les Américains dans leur ensemble n’y croient pas, mais qu’en sera-t-il dans quelques mois ?
Un moment inédit
Il n’empêche que cette condamnation marque un moment historique: pour la première fois, un candidat majeur à la présidentielle sera un criminel, reconnu comme tel par un jury de citoyens. Il n’y a donc pas de précédent pour évaluer comment l’opinion va réagir sur le long-terme à cette situation.
Une chose est sûre: ce jugement va créer des moments inédits et potentiellement embarrassants pour Donald Trump et le Parti républicain. Ainsi, la prochaine étape de l’affaire aura lieu le 11 juillet, quand le juge Juan Merchan, chargé de superviser le procès, annoncera la peine que devra purger l’ex-businessman du Queens. Ce dernier risque la prison, mais comme il n’a pas de condamnations pénales antérieures, il pourrait être mis en liberté surveillée ou détenu à domicile.
Quelle que soit cette peine, celle-ci sera rendue publique quatre jours avant la convention nationale républicaine à Milwaukee (Wisconsin) au cours de laquelle Donald Trump doit être formellement investi candidat de son parti à la Maison-Blanche. Immanquablement, ce grand raout prendra une autre tournure à cause de ces problèmes judiciaires - et pas forcément pour le meilleur. En effet, il projettera l’image d’une famille politique qui fait bloc coûte-que-coûte derrière un criminel.
Le verdict donne aussi une arme électorale supplémentaire à Joe Biden et ses alliés au moment où la base du président sortant montre des signes de démobilisation en raison de son âge (81 ans) et de son appui à Israël dans la guerre à Gaza. Comme cette condamnation est un fait d’actualité assez puissant pour capter l’attention des Américains qui ne suivent pas la politique, le Parti démocrate aurait tort de ne pas l’exploiter. Il peut désormais répéter à l’envi que Donald Trump est un “convicted felon” (“criminel condamné”) dans l’espoir de reconstituer la base électorale fracturée de 2020 et convaincre les indécis. La justice leur a tendu une perche au parti, à lui de la saisir.
Le groupe de Républicains anti-Trump, Republican Voters Against Trump, n’a pas attendu pour se mettre en ordre de marche. Dès jeudi 30 mai, il a mis en ligne une vidéo pour dire que Trump “loves cheating” (en anglais “to cheat” signifie aussi bien “tricher” que “tromper quelqu’un”), allusion à sa liaison présumée avec la star du X, Stormy Daniels, et la playmate Karen McDougal. Le Lincoln Project, un autre groupe de Républicains hostiles au 45ème président, connu lui aussi pour ses clips viraux, s’est également lancé. “Tu es un criminel, Donald”, peut-on entendre au début d’un nouveau spot d’une minute.
Joe Biden a aussi intégré la condamnation dans sa communication de campagne. Juste après le verdict, il a posté un appel aux fonds sur ses réseaux sociaux en exhortant ses supporteurs à se rendre aux urnes. Il aura l’occasion de rappeler devant des millions de téléspectateurs le statut judiciaire de son rival lors du premier débat télévisé entre les deux hommes, le 27 juin, sur la chaine d’information CNN.
“Criminel” contre “vieillard”
Cela sera-t-il suffisant pour faire oublier ses propres faiblesses ? Car, si Donald Trump est devenu le premier ancien président condamné au pénal, Joe Biden a aussi une particularité qui le mine : il est le locataire de la Maison-Blanche et le candidat le plus âgé de l'histoire du pays, en plus d’être très impopulaire. “Ce verdict ne va pas changer les fondamentaux: Joe Biden aura toujours 81 ans; cela ne va pas rendre Kamala Harris plus intelligente ou inspirante; cela n’excusera pas le fait que Joe Biden a brisé le rêve américain de tant de jeunes (…) et ne les rendra pas moins en colère à cause de ses positions sur Israël et le Hamas; et cela ne changera pas le fait que des millions de personnes se déversent dans notre pays par notre frontière…”, a fait valoir Kellyanne Conway, l’ancienne directrice de campagne de Donald Trump en 2016, sur la chaîne Fox News. Elle aurait aussi pu citer l’inflation qui continue de peser sur les ménages les plus modestes.
Signe indéniable de la motivation de la base trumpiste: la campagne de Donald Trump a annoncé, vendredi 31 mai, avoir levé 34,8 millions de dollars en “petites donations” (entre 1 et 200 dollars) dans les heures qui ont suivi le verdict - un record sur la plateforme WinRed, utilisée par les candidats républicains pour recueillir des fonds. Près de 30% de ces donations ont été effectuées par des gens qui n’ont jamais contribué à une campagne via cette plateforme.