Présidentielle: le comté qui choisit les vainqueurs
Interview du chef des Républicains d'Erie County (Pennsylvanie) avant la venue de Trump ce dimanche.
J’écris ces lignes depuis un hôtel pourri d’Erie, le chef-lieu du comté du même nom. Niché dans le nord-ouest de la Pennsylvanie, ce petit territoire qui représente 2% de la population du “Commonwealth” est au coeur de toutes les attentions. Et pour cause, c’est un “comté-bascule” (“swing county”) dans l’État-bascule (“swing state”) le plus important de la présidentielle. Depuis 2008, ses citoyens ont voté pour celui qui est devenu par la suite le locataire de la Maison-Blanche: Barack Obama en 2008 et 2012, Donald Trump en 2016, Joe Biden en 2020… Et en 2024 ?
Erie fait donc partie de ces endroits (de plus en plus rares) qu’on appelle des “bellwether”, des baromètres de l’humeur du pays. En Pennsylvanie, où le scrutin du 5 novembre s’annonce très serré, son électorat oscillant entre les deux camps peut faire une grande différence dans la course aux dix-neuf grands électeurs que pèse l’État, cruciaux pour remporter la Maison-Blanche. Signe de son importance, Tim Walz et J.D. Vance, les co-listiers de Kamala Harris et Donald Trump, s’y sont montrés récemment. Et le milliardaire républicain est attendu sur place dimanche 29 septembre avant de retourner quelques jours plus tard à Butler, où il tiendra un meeting à l’endroit de sa tentative d’assassinat de juillet dernier.
À mon arrivée, vendredi, après plus de six heures de route, je suis allé faire un tour au bureau du Parti républicain du comté. Dans le local, gardé par un Donald Trump souriant en carton dans l’entrée, l’énergie était palpable. Le téléphone sonnait en permanence et les pancartes “Trump-Vance 2024” partaient comme des petits pains. J’ai discuté avec Tom Eddy, le président de l’antenne du parti.
Le Caucus: Merci de prendre ce temps. Avez-vous déjà parlé à un journaliste français ?
Tom Eddy: J’ai fait le tour du monde. Ce matin, j’ai parlé à un journaliste d’Inde. Demain, le New York Times… L’autre jour, j’ai fait trois interviews !
C’est parce qu’on veut savoir qui va gagner !
Tout a commencé il y a deux ans quand un gars du site U.S. News & World Report est venu et a fait remarquer qu’Erie County votait toujours pour le vainqueur des grandes élections. Il est vrai que nous sommes un microcosme de la Pennsylvanie, État gigantesque. Nous avons de l'agriculture, des petites et grandes entreprises, une population diverse sur le plan racial et religieux, des zones industrielles peuplées qui évoquent Pittsburgh ou Philadelphie et, à l’inverse, des contrées agricoles presque vides. J’ai pris l’habitude de dire à tous les candidats qui viennent ici - et il y en a beaucoup - qu’ils peuvent gagner n’importe où s’ils s’imposent à Erie.
Bon alors, qui va gagner ? (rires)
Ça va être serré. En 2016, Donald Trump s’est imposé de 1 600 voix à Erie. En 2020, Biden l’a remporté de 1 200. Si vous regardez la cartographie électorale, nous ne sommes pas différents d’autres territoires aux États-Unis: la ville principale, Erie, a largement voté démocrate, en partie en raison de la population immigrée. Les banlieues sont plus mixtes sur le plan politique et les zones rurales, très républicaines.
Qu’est-ce qui vous fait dire que les résultats seront différents cette année ?
En 2020, les électeurs ont rejeté Trump parce qu’ils n’aimaient pas sa personnalité. Par contre, ils appréciaient ses politiques. Joe Biden a promis d’unifier le pays. Ils ont cru qu’il emmènerait les États-Unis dans une nouvelle direction, mais cela n’a pas été le cas. Dans les faits, il a gouverné à la gauche de la gauche, comme le voulait Bernie Sanders. Lui et Kamala ont fait de mauvais choix. Leurs lois ont entraîné une injection de plusieurs milliards de dollars dans l’économie, créant de l’inflation. La hausse des prix est comme une taxe supplémentaire sur les revenus, surtout dans les endroits de “cols bleus” comme Erie County. Situés dans la “Ceinture de la rouille” (“Rust Belt”), nous souffrons toujours des effets de la désindustrialisation
Les Démocrates veulent dépenser trop d’argent. Cela renforce l’attrait de Donald Trump. Il veut réduire la taille du gouvernement, là où les Démocrates sont partisans de l’accroître. C’est contraire à ce pour quoi mes ancêtres se sont battus pendant la guerre d’Indépendance. Ils ne voulaient pas d’un grand gouvernement centralisé.
L’enthousiasme pour Trump est-il tout de même similaire à 2016 ?
Les gens que nous voyons dans notre local sont très enthousiastes. Nous donnons environ cent pancartes “Trump-Vance” tous les jours. Le franc-parler de Donald Trump plaît encore. Certes, il n’est pas le genre de personne avec qui on irait dîner, mais il dit tout haut ce que beaucoup de gens pensent tout bas. Ils veulent revenir à une époque où nous faisions de bonnes choses. Quand ils regardent qui il y a en face - Kamala Harris -, ils voient une coquille vide. Si vous lui demandez ce qu’elle pense de l’économie, elle répètera qu’elle est issue de la classe moyenne et que sa mère a mis de l’argent de côté pour acheter une maison, mais elle ne répond jamais aux questions. Et quand elle dévoile des mesures, elle ne dit pas comment elles seront financées, comme son idée de fournir une aide de 25 000 dollars aux personnes qui veulent accéder à la propriété. Ça marche pour les médias, mais c’est du vent !
À Erie, les Démocrates ont un bureau qui compte onze personnes payées. Ici, nous sommes tous volontaires. C’est un signe de dévouement !
Comment comprenez-vous l’enthousiasme autour de la candidature de Kamala Harris ?
Quand je vois les pancartes “Harris-Walz” sur les pelouses ou au bord de la route, je me demande pourquoi certains soutiennent ce ticket. Kamala n’a rien fait pour protéger la frontière. Elle a cautionné des dépenses excessives. Il y a encore quelques mois, il était question qu’elle ne soit pas la co-listière de Joe Biden.
Les Démocrates détestent Donald Trump. Ils veulent aussi pouvoir dire qu’ils ont porté à la présidence la première femme de couleur. Leur objectif est de cocher des cases. Or, à force de nous identifier par genre, religion ou appartenance raciale, la gauche divise le pays.
Il n’y a pas que les Démocrates qui se mobilisent. Des Républicains modérés aussi ont rejoint la campagne de Kamala Harris… Cela vous inquiète-t-il ?
Nous n’avons pas constaté cela au niveau d’Erie County.
Contrairement à d’autres au sein du Parti républicain, vous exhortez les sympathisants à voter avant le 5 novembre, pendant la période de l’“early voting” (voir Le Caucus de la semaine dernière) qui commencera en octobre en Pennsylvanie. Ce n’est pas une idée très populaire au sein de votre famille politique. Pendant des années, Donald Trump a dit que c’était une source de fraude et de truquage des élections. Sentez-vous que le message passe ?
Le vote anticipé a bien marché pour les Démocrates. Il leur a permis de remporter plusieurs élections locales ces dernières années à Erie. Je préférerais qu’on s’en passe, mais nous devons l’accepter si nous voulons être compétitifs dans les urnes. Autrement, nous allons perdre car mille imprévus peuvent nous empêcher de nous rendre au bureau de vote le jour de l’élection. Dans le cas de scrutins serrés, cela peut faire la différence.
Ce message semble être entendu. En effet, le nombre de demande de bulletins de vote par correspondance a plus que doublé par rapport à l’an dernier, passant de 3 000 à presque 7 000. C’est un bon signe pour nous. Dans le même temps, les requêtes côté démocrate ont chuté dans plusieurs États, dont la Pennsylvanie. Ce qui montre qu’ils sont moins enthousiastes qu’on ne le pense.
L’objectif n’est pas de battre les Démocrates dans les résultats du vote anticipé. Mais si nous parvenons à augmenter notre pourcentage de voix pour atteindre 50% ou 60% du vote pré-“Election Day”, le Parti républicain pourrait remporter Erie. Je pense que Donald Trump l’a compris. Nous devons jouer le jeu si nous voulons gagner.
Rappel…
J.D. Vance et Tim Walz ont tous les deux visité Erie. Ils se retrouveront à New York le 1er octobre pour leur premier et sans doute dernier débat télévisé. Les hostilités commencent à 21h (heure de New York) sur CBS !
Mon souvenir d‘Erie ? Été 2016, partie le matin de DC et arrivée en fin d’après midi après des heures de route en Pennsylvania. Je n’ai pas oublié le pépé avec sa casquette NRA et les devantures délabrées de certains magasins. Quel contraste avec le bord de lac plutôt idyllique !
Désolée pour l’hôtel pourri et merci pour cet article au pouls du pays :)