"Election Night": les choses à suivre
Petit guide pour briller en société lors de la soirée électorale.
Ça y est ! Après des mois de spéculation, d’analyses plus ou moins fines, de prédictions et de sondages dans tous les sens, l’heure du dénouement a sonné. Dans la soirée du mardi 5 novembre, les États-Unis commenceront le comptage des “ballots” pour la présidentielle et les autres scrutins organisés simultanément.
“Election Night” pourrait se transformer en “Election Nights” cette année comme les élections s’annoncent serrées. Voici quelques éléments à suivre pendant le dépouillement.
Les “swing states”
L’élection présidentielle américaine, qui se joue État par État, sera décidée dans ces territoires susceptibles de basculer dans un camp comme dans l’autre du fait de leur démographie politique. Il y en a sept cette année: trois dans la “Rust Belt” (Pennsylvanie, Wisconsin et Michigan), deux dans le Sud (Caroline du Nord, Géorgie) et deux dans l’Ouest (Nevada et Arizona). Les Démocrates se retroussent aussi les manches en Floride dans l’espoir de reprendre le “Sunshine State”, mais celui-ci n’est pas considéré comme un État-pivot cette année.
Pour rappel, chaque État est associé à un certain nombre de grands électeurs en fonction de la taille de sa population. Sauf dans le cas du Maine et du Nebraska, ces individus chargés d’élire formellement le président, sont attribués selon le principe du “winner takes all”, où le candidat qui obtient la majorité des voix dans ledit État remporte tous les “electors”. Il y en a 538 au total. Le premier qui arrive à 270 est donc considéré comme le vainqueur de la présidentielle.
Donald Trump comme Kamala Harris ont plusieurs chemins pour y arriver. Pour ceux d’entre vous qui ont envie de s’amuser, plusieurs sites, comme 270toWin, proposent des cartes interactives vous permettant de voir quelles combinaisons d’États sont nécessaires à chaque candidat pour franchir le seuil fatidique. Pour le Républicain, les États à suivre seront les “swing states” du “Mur bleu”, des endroits que les Démocrates ont constamment remportés entre 1992 et 2012: le Wisconsin, la Pennsylvanie et le Michigan. En 2016, Donald Trump les avait ravis à la gauche, mais Joe Biden les lui avait repris quatre ans plus tard. Si le milliardaire reconquiert les trois et conserve les États qu’il a gagnés en 2020, l’élection est pliée. Il retourne à la Maison-Blanche et, nous, on va se coucher.
Kamala Harris a également plusieurs possibilités, même si elle perd un ou deux États du “Mur bleu”. Dans tous les cas, les observateurs s’accordent sur le fait que la Pennsylvanie sera le gros lot de la soirée. L’État compte le plus grand nombre de grands électeurs de tous les “swing states”: dix-neuf. Le candidat qui le perd se retrouverait sous pression. Et comme vous lisez Le Caucus, vous savez qu’il faudra tout particulièrement s’intéresser aux résultats du comté d’Érié, un petit territoire du le nord-ouest de la Pennsylvanie qui a voté pour tous les vainqueurs des présidentielles depuis 2008.
Ailleurs, certaines dynamiques électorales seront à suivre de près: le vote des électeurs arabes en banlieue de Detroit (Michigan), la mobilisation de la communauté noire à Atlanta (Géorgie) et sa couronne, ou encore celle des villes universitaires pour avoir une idée de la participation de la jeunesse… À titre personnel, je m’intéresserai plus particulièrement à la Caroline du Nord, seul État-pivot remporté par Donald Trump en 2020. J’en reviens. Emmenés par leur dynamique dirigeante de 26 ans, Anderson Clayton, les Démocrates locaux croient en leur bonne étoile. Ils ont décidé de mettre le paquet sur les zones rurales, très pro-Trump, afin de réduire les marges du Parti républicain et faire la différence. Barack Obama est le dernier candidat démocrate à une présidentielle à avoir gagné la Caroline du Nord. C’était en 2008. “Dans le passé, les Républicains ont creusé leur avance en milieu rural car de nombreux Démocrates ne sont pas allés voter. Notre but n’est pas de nous imposer dans ces endroits, mais de réduire cet écart. Nous devons aller à la rencontre de ces électeurs, leur serrer la main... Jusqu’à présent, il n’y a qu’un seul camp qui leur parlait”, m’a confié Anderson Clayton. Si Kamala Harris remporte le “Tar Heel State”, la soirée électorale pourrait être courte.
Que se passe-t-il si les candidats obtiennent 269 grands électeurs chacun ? Le scénario ne s’est produit qu’une seule fois dans l’histoire du pays, mais n’est pas impossible. Le vainqueur serait désigné par la nouvelle Chambre des Représentants (découlant des élections de novembre). Chaque délégation d’État aurait une voix, quel que soit son poids démographique. La majorité à atteindre serait donc de vingt-six.
Le Congrès, l’autre enjeu de 2024
Les médias se concentrent logiquement sur les chances de victoire de Kamala Harris, mais moins sur comment elle gouvernerait en cas de succès. C’est pourtant une question majeure. Pour avoir les coudées franches, mieux vaut disposer d’une majorité dans les deux chambres du Congrès, la Chambre des Représentants et le Sénat. Or, cette perspective est loin d’être assurée pour les Démocrates.
À la Chambre, dont les 435 sièges sont en jeu le 5 novembre, ils ont une carte à jouer. La majorité républicaine ne tient qu’à un fil: 220-211 et quatre sièges vacants qui penchent côté démocrate pour trois d’entre eux. En d’autres termes, les alliés de Kamala Harris ne doivent reprendre que quatre petits sièges pour franchir la barre des 50% des 435 députés. D’après le Cook Political Report, la bataille pour la House se jouera dans vingt-deux circonscriptions: douze sont détenues par les Républicains, dix par les Démocrates. Il faudra notamment surveiller les cinq sièges californiens. À eux seuls, ils pourraient déterminer quel parti contrôlera la Chambre pour les deux années qui viennent.
Au Sénat, c’est une autre paire de manches pour le parti de Kamala Harris. Avec cinquante-et-un sièges contre quarante-neuf actuellement, il ne peut pas en concéder plus d’un s’il veut conserver sa majorité (si Kamala Harris remporte la Maison-Blanche, son vice-président Tim Walz sera chargé de départager les deux camps). Or, les Démocrates sont quasiment assurés de perdre la Virginie occidentale après le départ à la retraite du centriste Joe Manchin. Dans un État qui a voté à près de 70% pour Donald Trump en 2020, il faisait office de survivant. Le Républicain Jim Justice devrait lui succéder.
Cela met les Démocrates dans la situation délicate de devoir défendre tous les autres sièges où ils sont en course. Il y en a beaucoup: vingt-trois sur les trente-quatre en jeu en novembre. De tous ceux-là, l’Ohio et le Montana pourraient couler les ambitions du Parti de l’âne car ces États ont voté Trump en 2020. Dans le Montana, le sénateur sortant Jon Tester, qui brigue un quatrième mandat, fait partie des rares à ne pas avoir apporté son soutien officiel à Kamala Harris. Il ne s’est même pas rendu à la Convention nationale démocrate (DNC) de Chicago pour assister à l’investiture de la candidate. Je vous avais raconté sa stratégie pour battre son adversaire, le millionnaire Tim Sheehy, dans le Caucus de la semaine dernière - et pourquoi il a du souci à se faire…
En revanche, les Démocrates affichent leurs ambitions au Texas, où le duel entre Colin Allred et le sortant républicain Ted Cruz semble être plus serré que prévu. Signe de leur optimisme, Kamala Harris s’est rendue à Houston pour donner un coup de pouce à Allred en présence d’une certaine Beyoncé. Vous connaissez ?
“Ballot initiatives”, l’avortement au centre des attentions
Près de 150 référendums (“ballot initiatives”) dans quarante-et-un États seront également organisés dans le cadre des élections de novembre. Certains porteront sur l’accès à l’avortement, l’un des enjeux majeurs de 2024.
Plusieurs initiatives visant à inscrire le droit à l’IVG (interruption volontaire de grossesse) dans les constitutions d’États sont à suivre cette année: l’Arizona (où une interdiction de l’avortement datant du XIXème siècle est brièvement entrée en vigueur en 2024 à la suite d’une décision de la Cour suprême de l’État), le Nevada ou encore la Floride. Dans cette dernière, l’IVG n’est plus légale dans la plupart des cas après six semaines de grossesse depuis la mise en oeuvre d’une loi controversée soutenue par le gouverneur, Ron DeSantis. Donald Trump, qui essaie de se montrer moins extrême sur le sujet, a émis des réserves dessus, ce qui lui a valu de se mettre à dos certains militants “pro-vie”.
Les Démocrates espèrent que ces consultations permettront de créer un surcroît de participation en leur faveur, notamment chez les jeunes femmes. Dans tous les États où la protection de l’avortement a été soumise à l’approbation populaire, le droit des femmes à choisir l’a emporté, y compris dans des territoires conservateurs (Kentucky, Kansas, Ohio…).
L’avortement ne sera pas le seul sujet important: l’organisation des élections, l’augmentation du salaire minimum et la légalisation du cannabis récréatif feront aussi l’objet de référendums dans différents États. Sur ce dernier sujet, il faudra là encore suivre la Floride. Son habitant le plus connu, Donald Trump, s’est montré favorable à la légalisation alors que son gouverneur Ron DeSantis, son ancien rival des primaires, fait campagne contre.
La contestation
En 2020, les votes en personne le jour de l’élection, provenant en grande partie de Républicains, avaient été “dépouillés” en premier et les votes par correspondance, plutôt démocrates, l’avaient été plus tard. Au début du comptage, Donald Trump apparaissait donc en tête, mais les chiffres se sont progressivement inversés. Ce phénomène, appelé “mirage rouge” (la couleur du Parti républicain), avait fait dire au président que l’élection avait été truquée.
Comment réagira-t-il cette année si les projections le montrent en difficulté ? Déclarera-t-il la victoire avant la fin du comptage des voix comme il y a quatre ans, comme l’a exhorté son ancien conseiller Steve Bannon, mardi dernier, à sa sortie de prison ? C’est l’une des inconnues de la soirée.
La campagne de Kamala Harris s’est préparée à cette éventualité et a indiqué être prête à dégainer des messages sur les réseaux sociaux pour appeler à ce que toutes les voix soient comptées. En tout cas, Donald Trump et ses alliés n’ont pas attendu pour semer le doute sur l’intégrité du scrutin. Ils font circuler des images de boîtes de dépôt de bulletins incendiées et diffusent des théories du complot sur la manipulation supposée des machines de vote. Connaitrons-nous le vainqueur de la présidentielle avant le prochain “Caucus” ?
Avant de se quitter…
Qui dit “fin de campagne” dit “fin de C’est ça l’Amérique”, mon podcast sur les élections de 2024 pour le journal La Croix, en partenariat avec le site French Morning et le programme Alliance-Columbia. Nous avons posté le dernier épisode de la saison 3 jeudi dernier. Il cherche à répondre à cette question: “qu’aurait pensé Alexis de Tocqueville de la démocratie américaine de 2024 ?” Retrouvez cet épisode et le reste de la série ici.
Comme d'habitude, excellent éclairage, imformatif, précis, documenté. Un vrai travail de journaliste.